Le prieuré de Sainte-Maigrine


Sainte-Maigrine commune de Coulon - Sainte-Macrine  commune de Magné

 

À quelques kilomètres de Niort, il existe deux localités ayant la même dénomination et la même origine : Sainte-Macrine (commune de Magné) et Sainte-Maigrine (commune de Coulon). Pourquoi cette appellation ? Ce nom évoque le souvenir de la sainte qui, selon la légende, traversa la Sèvre Niortaise au lieu-dit Tauriniacus, ou Thorigné, commune de Coulon, où elle fit un court séjour avant d’élire domicile à Magné, sur une butte boisée entourée de marais fangeux où elle s’employa à christianiser les habitants païens qui rendaient encore un culte aux pierres et aux fontaines. C’est sans doute pour perpétuer son souvenir qu’on éleva, par la suite, deux chapelles dans les localités précitées. L’une d’elle devint, un peu plus tard, le siège d’un prieuré. Certains historiens n’ont pas hésité à écrire qu'il était situé sur le coteau de Sainte-Macrine, commune de Magné, sans en apporter toutefois la moindre preuve valable. Pour notre part, la découverte de documents authentiques nous autorise, au contraire, à affirmer que ce prieuré se trouvait à Sainte-Maigrine, commune de Coulon. En effet, si l’on consulte le Dictionnaire topographique des Deux-Sèvres de Bélisaire Ledain, on trouve page 251 : « Sainte-Macrine - ferme et chapelle commune de Magné. Sancta Magrina (D.1326 ap. Pouillé Beauchet-Filleau, 301 – Sainte-Maigrine, 1765 (arch. DSE.116). Prieuré de l’ordre de saint Augustin, réuni à l’abbaye de Nieul-sur-l’Autize (état de l’élection de Niort, 1716). Or, si nous consultons ce dernier document (1- Mémoires de la Société de statistiques du département des Deux-Sèvres, t.3, 1886), nous ne trouvons aucune trace de Magné, et pour cause, puisque cette paroisse dépendait alors de l’élection de Saint-Jean-d'Angély. par contre, dans la notice consacrée à Coulon, nous pouvons lire : « cette paroisse est du diocèse de Saintes » et, plus loin, dans la nomenclature des biens ecclésiastiques situés sur son territoire : « le prieuré Sainte-Macrine, ordre de saint Augustin, de 1660 livres de revenu, réuny en l’abbaye de Nieul ». Peu de changement dans l’état de 1744, où on lit : « Le prieuré de Sainte-Macrine, ordre de saint Augustin, réuni au chapitre de la Rochelle, 1.800 livres ». Nous nous référons en second lieu à un autre document (2- Arch. D.-S.,E 116), qui est une déclaration rendue par Françoise Chabot, veuve de Me François Rouget, lieutenant-général au siège royal de Niort, à cause de la seigneurie de la Celette, à M. le vénérable doyen, chapitre de l’Église de la Rochelle, seigneur haut-justicier du bourg et abbaye royale de Nieuil-sur-l’Autize, la Mothe, Grand et Petit Sauveré, Celette, Sainte-Macrine et autres lieux, membres dépendant, réunis audit chapitre et à cause de la seigneurie de Celette. Dans cette déclaration, il n’est point question de prieuré, mais seulement de confrontations qui prouvent qu’il s’agit ici de Sainte-Macrine, paroisse de Coulon. Chose plus étrange encore si Beauchet-Filleau, dans son Pouillé, note : Magné, prieuré Sainte Macrine ; Prior Sancta Maigrina debet III flor. Auri X.S.T. (D.1326), ni lui ni Ledain ne mentionnent une seule fois Sainte-Maigrine paroisse de Coulon, qui était pourtant, au début du siècle, un domaine assez important. Quelques années plus tard, l’abbé Largeault ne se montre pas plus explicite : « l’antique capella, siège d’un prieuré dans le Moyen Äge, rapporte-t-il, reste encore un lieu de pèlerinage très fréquenté. L’affluence y est surtout considérable le 6 Juillet de chaque année, jour de la fête ». (3- Largeault (Abbé) légende populaire de Sainte-Pezenne et de Sainte-Macrine , 1896.). De Saint-Marc renchérit à son tour, ou plutôt répète : « en résumé, dit-il, sainte Macrine, dont la légende du XIe siècle ne relate ni la mort, ni la sépulture, est honorée dans l’ile de Magné, à 8 kilomètres de Niort, sur le plateau qui a pris le nom de butte de Sainte-Macrine, là où reposaient, dit-on, ses reliques. L’antique capella, but du pèlerinage annuel, était le siège d’un prieuré dans le Moyen Âge » ( 4. Saint-Marc (Camille de) – Les mythes, les cultes payens, les légendes de sainte Macrine en Bas-Poitou (Mémoire de la Société historique des Deux-Sèvres, 1908 p.36) et il ajoute : « Dans la chapelle de Sainte-Macrine, commune de Coulon, on constate la présence d’un tableau peint il y a déjà de longues années par une demoiselle Cugnac. Il représente la sainte faisant l’aumône » (5. Ibid.p.14) Allégation aussi fantaisiste que mensongère, ainsi que le prouve le Journal des Deux-Sèvres, qui écrit, dans son numéro du 12 Juillet 1806 : « les habitants de Magné et ceux des communes voisines de ce bourg viennent de faire relever l’église dédiée à sainte Macrine. L’ouverture de ce temple s’est faite le 6 de ce mois. Un concours immense de citoyens de la ville et de la campagne s’est porté en foule à cette solennité. Les amateurs des arts y ont vu, avec le plus vif intérêt, le tableau de l’autel représentant sainte Macrine distribuant son bien aux pauvres. L’ouvrage est d’un dessin pur et d’un beau coloris ; il produit un grand effet. Il a été peint par Melle Pauline de Cugnac, jeune personne de vingt ans. Ce tableau en a rappelé un autre : celui de la vertu consacrant à la piété les prémices du talent ». L’abbé Picard, ancien curé de Magné, faisant preuve d’autant d’imagination, avait déjà écrit de son côté : « Selon les anciens témoignages, il existait autrefois, au sud de la chapelle, un petit cimetière consacré à la sépulture des abbés commendataires chargés successivement du service religieux de la chapelle (6. Picard (abbé) – notice sur les vies de sainte Macrine de Magné et de sainte Pezenne, près de Niort, 1894, p.32) Or, la trace de ce prétendu cimetière n’a jamais été retrouvée et quoi qu’en dise cet auteur, il n’y eut jamais d’abbés commendataires à la chapelle de Sainte-Macrine. Après avoir rapporté toutes ces citations erronées, essayons de découvrir leur origine. À n’en pas douter, cette origine doit être attribuée à Henri Beauchet-Filleau qui, le premier, consulta le compte des décimes que devait publier plus tard Dangibeaud, et qui en fit une interprétation inexacte. Chose bien naturelle, si l’on en croit Dangibeaud, qui écrit, dans son préambule : « Ce manuscrit est un de ceux que l’abbé Chollet a compulsé pour ses études sur l’ancien diocèse de Saintes ; mais il n’a pas su en retirer que quelques noms, sur lesquels il s’est amusé à disserter, à discuter des étymologies sans aucun profit. On ne réussit trop souvent à reconstituer un mot sortable qu’à la condition de modifier, changer des lettres. Aussi, je fais toutes réserves sur plusieurs identifications. Le travail est rendu pénible faute d’ordre. Le scribe a enchevêtré les paroisses tellement qu’il a supprimé tout moyens de recherche. S’il avait suivi un ordre régulier, par voisinage, c’est-à-dire en mettant les bénéfices voisins les uns à côté des autres, on aurait un guide. Il passe, au contraire, d’une extrémité à l’autre de l’archiprêtré, de telle sorte qu’on est obligé de lire nom par nom isolément, sans le moindre secours. Aussi dans plusieurs cas, ai-je renoncé à toute identification » (6bis- Archives historiques de Saintonge P.45). Il n’empêche que Dangibaud place, lui aussi, le prieuré de Sainte-Macrine à Magné, sans prendre garde qu’il était cité après celui de Coulon, ce qui aurait dû lui éviter de le situer sur une autre paroisse.

Ayant démontré que le prieuré de Sainte-Macrine était bien situé sur le territoire de Coulon et non Magné, consacrons-lui quelques lignes. Dans son Histoire de l’abbaye de Nieul, Charles Arnault indique, parmi les bénéfices de cette dernière, les prieurés simples ou chapelles situés dans le diocèse de Saintes : Sainte-Catherine 150 livres - Sainte-Macrine, réuni à l’abbaye. Notre Dame de Nouzières 500 livres. Sans doute Arnault ne fait-il point mention de la paroisse où se situaient ces bénéfices. Mais le fait que le prieuré se Sainte-Macrine se trouve ici placé entre celui de Sainte-Catherine et celui de Nouzière montre bien que ces trois prieurés dépendaient de la même paroisse, celle de Coulon. On sait le l’abbaye de Nieul avait été fondée en 1068 ou 1069 par un seigneur de Vouvant, Arnould de Gueffedenier, qui lui avait donné, avec la seigneurie de Nieul, les droits qu’il possédait sur la terre et seigneurie de Benet. Tout donne à penser que le prieuré de Sainte-Maigrine fut réuni à l’abbaye de Nieul en même temps que le prieuré de Coulon, vers la fin du XIIe ou au début de XIIIe siècle. On sait même qu’en 1648, l’évêché de Maillezais fut transféré à La Rochelle. Mais comme les revenus de cette nouvelle cathédrale étaient insuffisants, on décida, pour mettre les chanoines en état de résider à la Rochelle et d’y subsister d’une manière convenable, de supprimer l’abbaye de Nieul, complètement déchue de sa splendeur et de réunir ses quelques religieux et tous ses revenus au chapitre et à la mense de l’église-cathédrale. Ainsi s’explique pourquoi les chanoines de la Rochelle restèrent en possession du domaine de Sainte-Maigrine jusqu’à la Révolution. Sainte-Maigrine est un prieuré simple (7 – Arnault Charles - Histoire de l’abbaye de Nieul. Mém.Soc.Stat. 2e série, t.11) Ses religieux ne faisaient donc point fonction de curés. Sa chapelle a subsisté jusqu’à fin du siècle dernier. Actuellement, il n’en reste plus que des vestiges insignifiants, constitués par un pilier et une niche qui abritait jadis une Vierge à l’enfant. Parmi les droits et revenus dont jouissait le curé de Coulon en 1624, nous voyons que lui étaient attributés certains émoluments « dans la dicte église et les annexes », c’est-à-dire le casuel provenant du service qu’il faisait dans son église et dans les chapelles de Sainte-Maigrine, de Sainte-Catherine et de Notre-Dame de Nouzières (8- Loth Abbé – bulletin paroissial de février 1926). Sur une quittance datée du 23 octobre 1726, Maitre Louis Chénier, curé de Coulon, reconnait avoir reçu de Jacques Ravard, fermier de Sainte-Maigrine, une somme de 30 livres « pour le service que j’ay ait de la chapelle dudit lieu pendant le temps et espace de quinze mois ». Le même écrit dans les notes, après 1744 : « il y a dans l’église trois décertes de chapelles, de Sainte-Maigrine, de Nozière et de Sainte-Catherine d’une messe par semaine chacune ; chaque rétribution est de 26 livres à la Saint-Michel. Ci-devant, Nozière n’estoit que de 20 livres et les autres de chadune 24. Le nouveau règlement de Monseigneur cause l’augmentation » (9d- Loth (abbé) – bulletin paroissial de Coulon, Mars 1927). Documents précieux qui corroborent ceux que nous avons déjà cités et qui permettent d’affirmer que le prieuré de Sainte-Maigrine (ou de Sainte-Macrine) était bien situé sur le territoire de la paroisse de Coulon. Mais la Révolution approchait. Le domaine de Sainte-Maigrine sera vendu comme bien national à M. Piet-Courssais, de Prissé (10 - arc. Deux-Sèvres. Q.61) qui fit peut être démolir la chapelle, ce qui expliquerait pourquoi une confusion s’est par la suite établie entre Sainte-Maigrine de Coulon et Sainte-Macrine de Magné.

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Lire article d'Alexandre Deborde

▣ Petite histoire locale

 

Voir aussi 

CoulonHameaux et écarts- Sainte-Maigrine