Contes et légendes du Marais


La légende de la fée Mélusine

En Albanie le roi Elinas perd sa jeune épouse. Ils avaient un fils nommé Florimont. 

Lors d’une chasse, Elinas s’arrêta près d’une fontaine d’où lui parvenait une voix de femme si mélodieuse qu’il en fut troublé. La dame lui apparut si belle qu’il lui fit sa cour. Elle accepta de l’épouser à une seule condition : si des enfants venaient à naitre de leur union, il ne la verrait que lorsqu’elle lui en donnerait l’autorisation. Il accepta la condition. Cette nouvelle reine faisait l’admiration de tous sauf un, Florimont qui la haïssait.

 

La reine eut trois filles le même jour : Palestine, Mélior et Mélusine. Fou de joie, le roi accourut pour voir ses filles et en oublia sa promesse. Ainsi il perdit sa femme pour toujours. Elle disparut avec leurs trois filles dans l’Ile Perdue où régnait sa sœur Morgane. Elle y éleva ses filles jusqu’à l’âge de 15 ans.

 

La vengeance de Mélusine et ses conséquences  

 

Mélusine voulut alors se venger de son père qui les avait ainsi condamnées à l’isolement.

Les trois sœurs allèrent en Albanie et firent prisonnier leur père. Leur mère apprenant les faits, se mit en colère. Mélusine à l’origine du complot fut condamnée à rester fée : « Tu seras serpente du nombril au pied, lui dit-elle. Tous les samedis. Cependant si tu trouves un homme qui veut t’épouser, qu’il te jure d’abord de ne jamais te voir le samedi et, s’il découvre ton secret, qu’il ne le révèle à personne. Alors tu vivras comme femme naturelle et mourras naturellement. De toi naitra une noble lignée qui s’illustrera par de grandes prouesses. Si ton mari te trahit, tu retourneras au tourment pour l’éternité et tu apparaitras trois jours avant que la forteresse que tu construiras et à laquelle tu donneras ton nom change de seigneur et aussi quand l’un de tes descendants devra mourir. »

 

Mélusine se rendit donc sur les lieux désignés par sa mère, au cœur des grandes forêts.

Raymondin, neveu du comte de Poitiers, y chassait le sanglier et, par maladresse, blessa mortellement son oncle. Il en fut si attristé qu’il erra plusieurs jours dans la forêt. Il rencontra dans une clairière une dame d’une grande beauté qui lui proposa son aide et lui fit promettre de l’épouser. Raymondin accepta mais il y avait une condition : ne jamais chercher à la voir le samedi !

 

Les enfants de Mélusine et ses constructions

 

Mélusine aurait enfanté 10 fils, ouvrant ainsi la lignée des comtes de Lusignan 

Le premier, Urien, naquit bien formé mais avec un œil rouge et l’autre pers et les plus grandes oreilles qu'on ait jamais vues à un enfant. 

Puis rapidement naquit le second, Eudes, grand et bien formé mais avec une oreille plus grande que l’autre.

 

Entre deux naissances, Mélusine construisait forteresses (Tiffauges, Talmont, Parthenay), églises, châteaux, monastères. C’est ainsi que Vouvant fut édifié en une nuit avec trois dornées 1 de pierres et une goulée d’eau. Parfois dirigeant les travaux, parfois exécutant elle-même en transportant les pierres dans son « devantier de mousseline, la nuit au clair de lune ». Son tablier contenait tant de pierres que le travail était vite achevé. Mervent fut si rapidement édifié que les habitants en étaient stupéfaits. Une nuit un curieux se cacha dans les broussailles. Mélusine aperçut le curieux et entra en colère. Elle jeta sa malédiction : les constructions de Mervent et Vouvant seraient condamnées à crouler, pierre par pierre, d’année en année.

 

Le troisième fils naquit, Guyon, bel enfant mais avec un œil plus haut que l’autre.

 

Comme après chaque naissance, Mélusine demeurait toujours bâtisseuse. Elle érigea la Tour Mélusine de la Rochelle, qui deviendra la Tour de la Chaine.

Une nuit, surprise par un moissonneur qui s’était endormi, elle laissa choir son chargement et, depuis, c’est l’une des pierres restée sur place qui devint la Pierre-qui-vire.

 

Antoine vint au monde, grand et bien formé, mais avec une patte de lion à la joue gauche et, avant qu'il ait huit ans, elle devint velue, avec des griffes tranchantes.

 

Le cinquième, Renaud, était doux et courtois mais avec un seul œil remarquablement perçant.

 

Le sixième naquit avec une dent qui sortait de la bouche. Geoffroy la Grande-Dent, grand, fort, mais cruel. Rabelais en fit l’ancêtre de Pantagruel.

 

Fromont, le septième, portait une tache velue sur le nez mais fut très doux et pieux.

 

Horrible, le huitième, qui portait bien son nom, eut trois yeux dont l’un au milieu du front. Cruel, à l’âge de 4 ans, avait déjà tué deux de ses nourrices.

 

Les deux derniers garçons, Thierry et Raymonnet, étaient normaux.

 

Urien, Guyon, Renaud et Antoine s’en iront de par le monde. Urien épousera la fille du roi de Chypre, Guyon celle du roi d’Arménie, Renaud celle du roi de Bohême et Antoine épousera Chrétienne de Luxembourg.

Geoffroy sera le soutien permanent de ses frères dans les différents combats contre leurs ennemis et reviendra à Mervent.

 

La trahison de Raymondin

 

C’est un samedi, à Mervent, que Raymondin reçoit son frère. Ce dernier s’inquiète de ne pas voir Mélusine et lui suggère qu’elle le trompe avec un autre. Raymondin, fou de colère et de jalousie, se précipite sur la porte de la chambre de Mélusine dans laquelle il fait un trou avec la pointe de son épée. Il l’aperçoit dans une grande cuve en marbre, battant l’eau de son corps en queue de serpent.

Raymondin venait d’oublier son serment !

 

Le lendemain, Mélusine se rend à Niort pour la construction des tours jumelles.

 

Fromont, quant à lui, se fait moine à Maillezais, ce qui déplait fort à Geoffroy qui mettra le feu à l’abbaye. Les moines brûlèrent vifs et la moitié de l’abbaye partit en fumée. Pris de remords, il avoue son crime à son père. Raymondin devient enragé et maudit Geoffroy.

Mélusine ne peut le raisonner. La discorde s’installe. Le destin doit s’accomplir. Mélusine doit quitter Raymondin.

Elle lui demande de protéger Raymonnet et Thierry leurs plus jeunes enfants. Thierry deviendra seigneur de Mervent et Vouvant.

Elle lui demande aussi de supprimer Horrible.

Elle fait ses adieux et prend son envol de la fenêtre qu’elle quitte dans un cri déchirant et un soupir douloureux, en se transformant en serpente ailée.

 

Raymondin tient sa promesse : Horrible sera étouffé.

 

Tous les soirs, Mélusine revenait veiller sur ses jeunes enfants. Elle vivait dans les ruines de ses châteaux, les grottes, sources ou puits profonds, devenant parfois anguille et plus rarement colombe.

 

Geoffroy, quant à lui, part à l’assaut des géants Gardon à Guérande. Il venge son père en tuant son oncle par qui le malheur est arrivé.

 

Raymondin, malheureux, part en pèlerinage à Rome et se retirera à Montserrat en Espagne où ses fils lui rendront régulièrement visite.

La veille d’un de leur départ, la fée serpente apparut au pied de la tour, poussant des cris de douleur, et s’enfuit en direction de Montserrat.

Suivant la prédiction de sa mère, elle devait apparaitre trois jours avant que le château ne change de seigneur ou avant la mort d’un de ses héritiers.

C’est ainsi qu’arrivant à Montserrat, Geoffroy et Thierry trouvèrent leur père décédé.

 

À son retour, Geoffroy fit reconstruire Maillezais encore plus puissante et plus imposante. Les terres de Geoffroy étaient bien gérées et jamais il n’exigeait de comptes.

Au bout de 10 ans, on tint à lui présenter les comptes. Il accepta et remarqua une rente annuelle versée pour réparation du pommel de la tour. À qui cette rente était-elle versée ? Nul ne savait. On racontait qu’après le départ de Mélusine, le dernier jour d’aout, une grande main avait arraché le pommel de la tour et que la charpente s’était écroulée. Il en avait été ainsi jusqu’au jour où un homme s’était présenté à Raymondin et lui avait demandé de mettre chaque année à la même date, 30 pièces d’argent dans une bourse de cuir de cerf et de la déposer au dernier étage de la tour. Dès lors, plus jamais la tour ne s’était écroulée.

Geoffroy ne l’entendit pas ainsi et voulut connaitre l’identité de celui qui recevait cette rente.

Geoffroy prépara la bourse pour le jour dit et la mit autour de son cou. Il prit épée et bouclier et monta au dernier étage de la tour. Un haut chevalier apparut. Un duel sans merci s’ensuivit, prolongé le lendemain par un autre duel sur le pré. Geoffroy fut vaillant et le chevalier s’expliqua : « Sache Geoffroy que les 10 sols n’étaient que pour le profit de l’âme de ton père car, à Rome, le pape lui avait imposé une pénitence pour le parjure fait à ta mère et cette pénitence, jamais il ne la fit. »

Le chevalier disparut comme il était venu.

 

Les fils de Mélusine continuèrent de gouverner leurs terres mais quiconque de la lignée apercevait la serpente savait sa mort proche.

Geoffroy mourut très âgé et fut inhumé à Maillezais.

Les autres fils de Mélusine eurent des descendants tous apparentés aux plus grands royaumes de ce monde.

 

Qui est la véritable Mélusine ?

 

Bâtisseuse de châteaux, églises, abbayes, elle construit, seule, la nuit. Elle porte les matériaux comme ses enfants, dans sa dorne 1, ses entrailles : elles est mère et représente l’énergie créatrice.

Ses affinités avec l’eau s’affirment partout où elle a laissé des traces. Eau des océans, rivières sacrées, eau des fontaines et des sources. L’eau féconde. Elle s’y régénère par le bain rituel du samedi. La régénération est l’image de l’immortalité.

L’eau qui sort des profondeurs de la terre est son domaine d’élection. Par cette eau, elle tient un peu des puissances infernales. Comme elles, elle assure la fécondité et familiarise avec la mort. Rien d’étonnant qu’elle apparaisse comme messagère funèbre, annonçant la mort prochaine au moins à ceux de son lignage. Fécondité, immortalité ! Ce sont là deux des aspects essentiels du symbolisme du serpent ; et Mélusine, avant tout dans sa forme, est serpente.

Mélusine appartient à la mythologie française.

 

 

Une des versions les plus célèbres aurait été écrite par Jean d'Arras en 1392. 

Un trouvère, du nom de Couldrette, aurait écrit en vers la légende de la fée Mélusine peu de temps après Jean d'Arras.
Le Roman de Mélusine a été écrit entre 1401 et 1405. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

1. La dorne est le giron, tablier couvrant de la ceinture aux genoux., et la dornée est son contenu .

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Le dragon du Marais ou l'histoire de Marine la lutine 

Ceci est un conte qui se passe dans le marais, à une époque très reculée…

Cric ! Crac ! Voici son histoire :

 

Il était une fois, il y a très très très très longtemps,  un dragon vint habiter au fin fond du marais entre Coulon et Magné.

Le dragon est un animal fabuleux avec des griffes, des ailes, une queue de serpent, crachant le feu mais surtout mangeur d’animaux et d’humains.

Tous les jours, il traversait le marais pour essayer d'attraper les gens du village afin de se nourrir. Il faisait de très gros dégâts partout et semait la terreur sur son passage.

 

Je suis Marine la lutine. La la la la, qu’il fait bon se promener. Mais que vois-je ? C’est un dragon. Je vais le suivre doucement pour découvrir sa tanière. Il fait trop peur à tous les habitants des marais, il faut s’en débarrer. Il tue les animaux, les humains.

 

Marine le suivit donc, très prudemment et très silencieusement, jusqu'à son antre. Et là… elle eut la surprise de sa vie : le dragon était une dragonne ! et mère de famille, avec ça ! Dans le nid, il y avait des tas de bébés dragons, affamés et criards.

Marine la lutine se dit « Que faire ? On ne peut laisser ces créatures détruire tous les êtres vivants du marais, mais on ne peut pas, non plus, éliminer ces animaux, si rares, si beaux et si rigolos… quand ils sont petits. »

Elle resta là, longtemps à observer et à réfléchir.

Pendant ce temps, la dragonne avait réussi à nourrir et à endormir toute sa nichée et, épuisée, elle s'était elle-même endormie. Prudemment, à pas de loup – car ces bêtes sont féroces et vous croquent en une bouchée – Marine s'éloigna. Elle avait décidé d'aller demander conseil à son ami, le vieux sage de Sainte-Macrine, qui vivait près de la source miraculeuse. Personne ne savait depuis quand il était là, de génération en génération, tout le monde disait l'avoir toujours connu.

Le vieil homme réfléchit longtemps, consulta tous ses vieux livres, gratta sa tête, chauve comme un oeuf, s'entortilla les doigts dans sa longue barbe blanche, pencha la tête à droite, puis à gauche, toussa pour s'éclaircir la voix et dit :

 

– Il n'y a pas trente six solutions, il faut fabriquer la potion de métamorphose. Mais, elle est très compliquée à faire, il faut de nombreux ingrédients dont certains sont très difficiles à trouver. Puis il faudra la jeter sur la dragonne et, si ça marche, du même coup, les petits seront touchés aussi. Tu le vois, c'est dangereux. Es-tu vraiment prête à courir de si grands risques ? On ne peut vraiment pas continuer comme ça et tu imagines les dégâts que feront tous ces dragons quand ils seront grands ? Si tu es décidée, alors voilà : il nous faut de la poudre :

- de perlimpinpin, j'en ai un grand bocal ;

- trois grains d'hellébore noire ;

- cinq graines de sésame ;

- sept poils de chat gris ;

mais de tout cela, j'en ai. Il te faudra seulement récupérer treize crottes de lapin blanc, mais… de lapin blanc aux yeux bleus, sinon, ça ne marche pas. J'en connais un qui vit près des chandelles, là-bas, tu sais, près de la rivière, tu vois ?

 

Marine dit oui de la tête. Elle connaissait bien l'endroit, mais elle ignorait qu'un lapin blanc aux yeux bleus habitait là.

 

– Et comment je reconnaîtrai ses crottes ? Elles sont toutes pareilles les crottes de lapin.

– Non, celles du lapin blanc aux yeux bleus sont rouges comme de grosses baies de houx. Attention ! Il ne faut pas les confondre, ce serait une catastrophe. Il faudra que tu goûtes !

– Beurk ! beurk ! (Marine se sauve).

– Mais attends ! Il te faudra encore un dernier ingrédient, absolument indispensable pour métamorphoser la dragonne. Cette chose, tu ne pourras pas la récupérer toute seule, il te faudra l'aide de tous les habitants du village près du marais. Il s'agit de la grenouille magique qui, quand tu l'embrasses sur la bouche, se transforme en bonne fée. Il y a des années qu'on ne l'a pas vue. Elle se cache, honteuse, en attendant que quelqu'un vienne l'embrasser pour lui redonner sa bonne forme. Elle sera indispensable pour dire la formule magique dès que tu auras jeté la potion sur le grand dragon blanc.

 

Marine sortit de chez le vieux sage un peu abattue, mais elle savait aussi qu'il fallait faire vite pour trouver les ingrédients car la dragonne continuait chaque jour à faire un peu plus de ravages.

Toujours décidée, elle alla donc sur la place du village et commença à appeler les villageois pour qu'ils l'aident dans sa quête.

Le bruit que Marine la lutine du marais était là se répandit vite, et tous les gens curieux des environs se réunirent autour d'elle pour l'écouter, car elle était une personne très respectée.

 

– Chers villageois ! Vous le savez, le dragon du marais nous fait beaucoup de tort et menace notre douce vie paisible, ici, dans le marais. C'est pourquoi je suis allée voir le vieux sage pour lui demander de l'aide. Il m'a donné la recette d'une très ancienne potion pour métamorphoser le dragon en un animal inoffensif. Mais j'ai besoin de votre aide, à tous, sans exception, car il faut retrouver, pour que la métamorphose soit possible, la bonne fée changée en grenouille depuis de nombreuses années. Elle seule pourra réciter la formule magique pour que la potion fasse effet. »

 

Les villageois, qui en avaient assez du dragon, acceptèrent tous d'aider la lutine Marine qui fut bien soulagée et reprit confiance. En effet la tâche était trop difficile pour elle toute seule, car le vieux sage n'avait aucune idée de l'endroit où la grenouille magique se cachait et il faudrait donc embrasser toutes les grenouilles du marais pour avoir une chance de trouver la bonne fée.

Quand elle expliqua aux villageois qu'ils devraient embrasser, sur la bouche, toutes les grenouilles qu'ils rencontreraient jusqu'à ce qu'ils trouvent la bonne, ils furent vraiment dégoûtés. Mais ils savaient aussi qu'ils n'avaient pas le choix s'ils voulaient être débarrassés du dragon.

Marine, elle, se disait qu'elle aurait préféré embrasser des grenouilles, aussi moches soient elles, plutôt que de devoir goûter les crottes de ce fichu lapin blanc aux yeux bleus.

 

Le lendemain matin, les habitants organisèrent une chasse à la grenouille pendant que Marine essayait de trouver les fameuses crottes qui lui manquaient pour achever la préparation de la potion. Elle alla donc du côté l’Ouchette, près de la rivière, dans l'espoir de trouver le fameux lapin blanc aux yeux bleus. Elle ne trouva pas le lapin, mais elle vit, par terre, de grosses baies rouges appétissantes. Elle prit son courage à deux mains et en goûta une. Beurkkk ! Ça n'avait pas du tout le goût de baie ! Mais, la bonne nouvelle, c'était que ça devait être les crottes du lapin blanc aux yeux bleus !

 

De leur côté, les villageois eurent aussi beaucoup de travail : toutes les grenouilles du marais  – et il y en avait beaucoup – furent embrassées dans la journée.
Et, bien sûr, ce fut la dernière grenouille embrassée – quand tout le monde pensait que tout était perdu ! – qui prit forme humaine, ou plutôt… féerique ! C’était le bonne fée.

 

Tout le village, accompagné de la bonne fée du marais, alla retrouver Marine chez le vieux sage.

La potion était prête et, tous ensemble, ils se rendirent dans l'antre du dragon qui était endormi, ses petits autour de lui.

C'est Marine qui lança la potion sur la dragonne endormie et la bonne fée récita la formule… et tout le monde attendit la transformation, sans dire un mot, sans bouger.

Mais la magie ne fonctionna pas. La tristesse et la déception étaient énormes. Tant d'efforts et d'espoirs... pour rien !

C'est alors que la dragonne se réveilla. Les gens, pensant être dévorés, se mirent à hurler de peur et à courir quand, en baillant, gueule grande ouverte, elle se dirigea vers eux, l'air menaçant. Mais à leur grand étonnement, elle passa au-dessus d'eux et alla, tranquillement se nourrir de l'herbe du marais.

Ce fut Marine la lutine qui comprit la première ce qui venait de se passer : la métamorphose n'avait pas été extérieure mais... intérieure ! Le dragon était resté le même, grand, majestueux et terrifiant mais totalement inoffensif car totalement végétarien ! Et ses petits, aussi, évidemment.

Et depuis ce jour, tous les habitants du marais, animaux et humains vivent paisiblement .

Encore aujourd'hui, le dragon et sa famille habitent dans le marais, personne ne sait où ils se cachent, vous pouvez leur rendre visite toujours aussi impressionnants, mais ils sont inoffensifs.

 

C’était l’ histoire de Marine, la petite lutine du marais, et le gentil dragon. 

Cric ! crac ! Mon conte est fini…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

La légende du Bras rouge contée

Vivant au fond des puits, des fontaines et des conches, le Bras rouge est un féroce croquemitaine. Gare à celui qui s’approche trop près de sa demeure ! Pour peu que vous n’ayez pas de sel dans vos poches, ou que vous ayez oublié de jeter dans la conche quelques pièces avant de passer, de colère, le Bras rouge vous happerait et vous entrainerait vers les profondeurs.

 

Petite, j’ai vécu dans une petite commune du Marais poitevin. Cet endroit hors du commun, véritable havre de paix, est propice à la rêverie. Durant mon enfance, j’ai souvent accompagné en barque le pêcheur chevronné qu’était mon grand-père. Je garde de ces escapades fluviales un merveilleux souvenir même si la légende du Bras rouge que je vais vous conter m’a longtemps persécutée !

Pépé dépose le seau destiné à recevoir le fruit de sa pêche dans la plate, installe la planche qui me servira de siège puis écope l’eau de pluie. J’attends bien sagement au bord de la rive qu’il me tende la main pour m’aider à monter à bord. Et déjà la nature me parle : son impressionnante cathédrale de verdure, la puissante odeur des marécages et les sons mélodieux da sa faune grouillante.

La frêle embarcation tangue sous mon poids lorsque j’embarque. D’aucuns s’en effraieraient, à l’instar de cet oncle parisien qui, lors d’une première visite dans le Marais poitevin, avait sollicité une promenade en barque qui avait tourné court, car, surpris par l’instabilité de la plate, il avait paniqué, pour finir par basculer dans le fossé, sous les regards hilares de toute la famille. Un inoubliable baptême de l’eau ! Son élégant costume de ville s’en souvient certainement. En ce qui me concerne, pas d’inquiétude. Il faut dire que cette escapade fluviale m’est familière. Et pourtant, je sais qu’un être effrayant hante les eaux de la Venise verte.

Mon grand-père décroche la chaine qui arrime notre embarcation ; elle s’abat avec grand fracas dans le fond de la plate. Il appuie ensuite fermement le crochet de sa pigouille sur la berge, de telle sorte que nous sommes propulsés plusieurs mètres en avant.

Il n’est pas commode de sortir du chemin d’eau. Il faut courber le dos pour éviter l’entrelacs de branches qui ploient au-dessus de nous. La barque fend l’épais tapis de lentilles dans un chuintement discret, rythmé par le clapotis de l’eau ruisselant de la pigouille. Notre passage dessine derrière nous un long ruban transparent qui ondule comme les couleuvres vipérines que l'on voit parfois traverser la rivière.

Soudain le batelier stoppe. Il me lance un regard de connivence puis murmure en me montrant du doigt les deux gros yeux ronds qui affleurent sous la feuille d’un nénuphar : « Tu vois la gueurneuille ? » Pas le temps de répondre. D’un geste aussi vif que l’éclair, maintes fois répété, pépé a capturé le batracien qui finit au fond du filet de pêche. La toute première prise de la soirée !

Ça y est, nous atteignons la rigole. Les lentilles se font plus rares. Le marais se transforme alors en gigantesque miroir dans lequel se reflètent les troncs élancés des peupliers qui forment comme une mosaïque jaspée à la surface de l'eau. L'écrasante beauté de cet univers féérique vient de nous happer. Moment d'exception, instant magique, rêverie éveillée.

La barque file au milieu de l'enivrante nature. Ni pépé ni moi ne disons mot, comme si nous craignions de rompre le charme. Nos yeux embrassent goulument chaque élément du décor : les maisons qui bordent les rives avec leurs volets de bois peint encadrant de généreuses potées fleuries, les potagers regorgeant de bons légumes et les petits coins de pêche aménagés par les heureux propriétaires. Dans une parcelle de mogettes, je repère un héron cendré qui ne tarde pas à s'envoler dans un froufrou de battement d'ailes. Je le suis des yeux, émerveillée par tant de grâce. Quelques dizaines de mètres plus loin, il se pose dans un pré où broutent de paisibles vaches laitières que rien ne saurait perturber.

Dans cet écrin de verdure, aux côtés de mon aïeul, je me sens invincible. Pépé connait l’endroit dans ses moindres recoins pour l’avoir parcouru des milliers de fois depuis son enfance. Et moi, du haut de mes huit ans, je peux me permettre de défier le Bras rouge, oui, vous savez ce monstre que j’évoquais tout à l’heure. J’évite tout de même de laisser ma main traîner à la surface de l’eau. On ne sait jamais…

Mais qui est-il au juste ? Je connais son existence depuis déjà plusieurs années. « Ne t’approche pas de la rivière, a martelé maman près de mon oreille, sinon le Bras rouge t’emportera et nous ne te reverrons jamais ! ». Car le redoutable bonhomme a pour habitude de se mouvoir dans le milieu aquatique et de happer les enfants imprudents à l’aide de sa main ensanglantée pour les entraîner au fond de l’eau.

Inutile de vous dire que la terrible mise en garde de ma mère m’a dissuadée à tout jamais de fréquenter seule les berges, tout comme le puits près du jardin, dans lequel séjournerait également l’abominable personnage. Ce qui m’interpelle : comment parvient-il à l’atteindre ? Sort-il la nuit ? Rampe-t-il en silence jusqu’à lui ? Est-il à l’origine de la mort de Pétronille, notre jeune chèvre encordée au puits et découverte un jour suspendue dans l’abîme ?

Parfois, le soir dans mon lit, je me représente davantage la chose : son bras télescopique immense, d’un rouge aussi vif qu’une plaie béante, émerge brutalement des eaux saumâtres et balaie le sol à l’affût d’une proie. Cauchemar éveillé ! Je rabats la couverture de mon lit sur ma tête et finis par chasser l’insupportable image de mon esprit.

Nous bifurquons dans une conche. Les têtards 1 y sont alignés comme de bons petits soldats et arborent fièrement leur touffe de branches taillées. Au loin, un couple de cygnes glisse lentement au fil de l’eau. Tout à coup, un bruit de plongeon me fait sursauter. Le Bras rouge ? « Regarde ! un ragondin me dit pépé » Ouf ! Pas de Bras rouge en vue. L’animal a tôt fait de traverser et de disparaitre dans un trou. Juste à côté de nous, sous un imposant saule pleureur, barbotent une poule d’eau et sa nichée. Ils me font penser aux illustrations du joli livre de contes de ma petite sœur.

Pépé farfouille maintenant le fond de l’eau à la recherche de son tonneau. Il le remonte à la surface, ouvre la petite porte grillagée puis déverse sa pêche dans le seau : des gardons, des perches, des écrevisses et une anguille. Cette dernière atterrit à mes pieds. Je l’observe se tortiller avec vivacité. Sa peau noire, reluisante et visqueuse se confond avec la couleur de la barque. À notre retour, maman lui retirera la peau, la videra, la lavera, la divisera en petits tronçons qu’elle enfermera ensuite dans un torchon. Puis, demain, elle extraira l’emballage du réfrigérateur, farinera les morceaux de piba 2 et les jettera dans une poêle pour les frire avec de l’ail et du persil. Miam ! mes papilles en salivent déjà.

Nous voilà repartis dans le dédale des chemins d’eau. Au-dessus de nous, les feuillages en berceau filtrent la lumière, irisant les ailes transparentes des libellules posées sur les touffes d’iris. Pépé continue la relève de ses tonneaux et de ses botes 3. Mais comment fait-il pour se souvenir des multiples emplacements de ses engins de pêche ? Parfois il tâtonne un moment avant de les retrouver. Il me plait alors d’imaginer qu’il gratouille le Bras rouge du bout de sa perche, agaçant le monstre endormi. Ou mieux encore, qu’il le grille entièrement lorsque, pour me divertir, il met le feu sur l’eau. Oui, vous avez bien lu ! Le « feu sur l’eau » ! Laissez-moi vous expliquer :

Pour réussir cet étonnant tour de passe-passe, il faut d’abord repérer un bord de conche peu profond, puis brasser la vase avec la pigouille ou tout autre ustensile permettant d’atteindre le fond. Les déchets végétaux et animaux qui s’y trouvent forment alors un gaz méthane repérable aux bulles qui apparaissent à la surface de l’eau. Ne reste plus à pépé qu’à jouer de son briquet pour faire danser les flammes sur la rivière ! Le mariage du feu et de l'eau, un spectacle qui n'en finit pas de me ravir.

Nous croisons d’autres barques, échangeons quelques mots avec un voisin qui circule sur la berge à vélo et slalomons entre les fils de pêche tendus, repérables à leurs jolis bouchons colorés. Parfois nous assistons même à la prise du poisson. Celle du brochet est toujours impressionnante et peut mobiliser plusieurs personnes selon la taille et la résistance de la bête. Et que dire de cette fierté qui s’affiche sur le visage du bienheureux pêcheur lorsqu’il décroche le carnassier convoité de l’hameçon ! Les jours suivants, au même endroit, il tentera de nouveau sa chance.

La fraicheur tombe. Le vent fait frémir les feuilles des peupliers. Au loin, un chien aboie. Le soleil a entamé son inévitable déclin. Ses rayons jouent à travers les branches et dessinent à la surface de l'eau des formes étranges et fantasmagoriques qui alimentent mon imagination d'enfant. Ici, je crois voir un lutin facétieux, là, un animal préhistorique, et plus loin, une princesse endormie.

Notre balade touche à sa fin, mon grand-père ralentit, manœuvre adroitement la pigouille pour s’engager dans son petit port privé. Il est satisfait, la pêche a été bonne. À la nuit tombée, il reviendra seul tendre les cordéles 4 et le tramail. Et demain soir, si le temps est toujours au beau fixe, nous emprunterons encore tous les deux le même parcours.

Me voilà de nouveau sur la terre ferme. Tandis que pépé débarrasse la plate de son matériel de pêche, je sonde une dernière fois du regard le tapis de lentilles d'eau sous lequel se tient peut-être camouflé le monstre de Marais poitevin. Un frisson me parcourt le corps. Et s'il surgissait, là, maintenant, et emportait mon grand-père avec lui ? Non, il n'oserait pas. D'ailleurs, d'après les dires de maman, il ne s'attaque qu'aux enfants. De toute façon, s'il dérogeait à ses habitudes, mon aïeul aurait tôt fait de lui assener un bon coup de pelle sur sa vilaine main et il comprendrait vite à qui il a affaire.

Pépé m'a rejointe. Soulagement. Nous pouvons maintenant regagner tranquillement la maison. J'ai désormais le cœur léger et je suis si fière d'avoir une nouvelle fois bravé le tant redouté Bras rouge.

Qui, dans le marais, n’a pas eu peur du bras rouge ?

Les mères utilisant cette légende afin d’éviter aux enfants de s’approcher de l’eau.

 

Nadine Groenecke  

blog : http://nadinegroenecke-auteur.over-blog.com

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1. Arbres écimés de façons à favoriser le développement des repousses. Dans le marais, on pratique cet écimage sur les frênes.

 

 

 

 

 

 

 

 

2. Anguille mâle, à ventre jaune (se prononce pibâ).

 

 

3. Nasses rigides à anguilles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4. Lignes de fond.

5. Tramail - grand filet de pêche.

 

 

 

  

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 


 

L'histoire de la libellule

Elles étaient si bien, dans le fond de l'étang, les petites larves. Elles formaient un groupe de trois amies, inséparables. Elles n'étaient pas les seules, bien sûr. Il y en avait d'autres. Elles avaient d'ailleurs remarqué que, de temps en temps, certaines quittaient l'étang, s'élevant et disparaissant à tout jamais. Que leur arrivait-il donc ? Parlant de tout cela, nos trois amies se firent l'une à l'autre la promesse que, si un jour cela leur arrivait, elles feraient signe aux autres pour les informer de ce qui se passe là-haut.

 

Et ce jour arriva. L'une d'entre elles s'éleva, s'éleva... Elle tomba dans un profond sommeil et lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle découvrit un monde merveilleux : soleil, arbres, fleurs... Elle avait quitté l'étang. Et quelles transformations en elle ! Elle avait même des ailes toutes transparentes. Elle qui, jusque-là, n'avait fait que nager entre deux eaux pouvait maintenant voler en plein ciel. Après ce moment d'immense joie, elle se souvint de sa promesse. Elle voulut faire signe à ses amies. Avec sa petite tête, elle fit des ronds sur l'eau, comme si des gouttelettes tombaient à la surface. Les amies du fond de la mare les remarquèrent. « Que se passe-t-il donc ? Il ne pleut pas, et pourtant, il y a les petits cercles... » Notre amie, voyant qu'elle n'était pas comprise, essaya une autre technique : elle se mit à cueillir des feuilles et les sema à la surface. « Tiens, voilà maintenant des feuilles qui tombent, et ce n'est pas encore l'automne... » Comment donc communiquer si aucun des signes n'est compris ? se demande notre évadée. Fallait-il qu'elle plonge elle-même ? Mais ses copines larves n'avaient jamais vu une libellule. Elles n'auraient pas cru que c'était l'ancienne larve qui leur rendait visite.

 

Décidément, il n'est pas facile de parler aux autres d'un lieu où ils n'ont pas encore été. Il faudra donc que ses amies attendent leur propre transformation pour comprendre.