Contes et légendes du Poitou


Le trésor

Dans les arrondissements de Bressuire et Partenay où la guerre, depuis des milliers d'années, a sévi constamment, autour de chaque habitation notable sont enterrés, selon la tradition, des trésors. Quand se dessinait une crise, quand se produisait une invasion, leurs propriétaires les cachaient dans un lieu de remarque facile, au pied d'un arbre, sous un roc, dans le creux d'un mur, pour les retrouver le danger passé. Beaucoup d'entre eux sont morts dans les batailles sans avoir pu transmettre à qui que ce soit le secret du gite de leur bien. D'autres en les cherchant se sont aperçus qu'ils avaient été volés. Combien sont plus nombreux ceux que le diable, sans se l'accaparer, en a dépossédés !  Il est un fait acquis, c'est que toute fortune, du moment qu'elle est en terre, appartient à Satan. Il n'en use pas, ou ne la livre pas à ceux qui le tirent plus ou moins par la queue.

 

Pourquoi ?  On l'ignore. Ce que l'on peut certifier, parce que tous ceux qui ont été interrogés à cet égard l'ont affirmé, c'est que l'esprit malin donne à l'or et à l'argent enterrés le pouvoir de voyager.

 

Il a été trouvé, aux environs de Courlay, des pièces d'or, à fleur de coin, de Jean le Bon. Celui qui les a découvertes, par hasard, a confié qu'elles étaient accompagnées de bien d'autres. Le sorcier qu'il avait consulté lui en donna l'assurance. Il lui apprit, la baguette à la main, l'endroit précis où le magot était placé. Il ne lui cacha pas, loin de là, qu'il fallait prendre des précautions pour le découvrir. À dix pieds du centre et tout autour, on creusa sur ses ordres, pour couper la retraite au diable, un fossé profond. Il fit des incantations et ordonna la fouille. Les pioches, dans les mains enfiévrées des chercheurs, fonctionnèrent vaillamment, les pelles ne chômèrent pas, mais, à cinq pieds de profondeur, l'homme de la magie arrêta les travaux. Il consulta son instrument divinatoire. Le trésor, en dépit des précautions, était parti. Rien de plus facile à constater :  la baguette ne tournait plus. Elle tourna plus loin. On prit autant et plus de précautions pour la recherche nouvelle, sans plus de résultats. On se léguera le secret et l'on fouira le sol pendant des centaines d'années sans rien découvrir. Croyez-vous qu'on s'en prendra aux sorciers de la déception ?  Oh !  non. Le Malin, seul, en est la cause. Cette croyance a du bon, car le fermier creusera profondément sa terre, dans l'espoir d'un gain et, comme les enfants du laboureur de La Fontaine, lui fera rapporter un peu plus qu'ailleurs.

 

À la fin du XIXe siècle, commune de Clessé, une petite sorcière émut les habitants de plusieurs domaines en leur révélant qu'à volée de chapon d'une ferme dont on ne peut citer le nom ici, un immense amas de bijoux, d'or et d'argent monnayés, avait été dans les vieux temps serré par son propriétaire. Chacun des hommes du lieu qu'elle habitait fut requis d'avoir à se transporter à l'endroit indiqué, avec les outils nécessaires pour procéder, de nuit, à sa découverte. On se munit de cierges bénits, on les alluma et l'on travailla sous la direction de l'inspirée, avec une ardeur sans égal. De nombreux curieux attirés par le bruit faisaient cercle autour des travailleurs. Ils virent subitement de tous les points de l'horizon noir surgir d'innombrables essaims de mouches qui venaient se brûler les ailes aux lumières. Ces bestioles étaient des âmes errantes avides de s'épurer au feu sacré pour entrer au ciel. On commença des prières, on promit des messes. Au moment où l'on allait réussir, une chèvre blanche se montra inopinément, causant une frayeur sans pareille. Les curieux prirent la fuite, et les travailleurs, harrassés et déçus, reçurent l'avis que jamais plus on ne trouverait le trésor poursuivi. Il appartenait aux âmes pour l'achat de leur place au Paradis. On ne peut rire de la crédulité de ces êtres simples, quand on a vu, sous l'oeil protecteur du gouvernement de l'époque, dans la basilique de Saint-Denis, une voyante plus ou moins lucide poursuivre la conquête d'un trésor. Aujourd'hui encore, ne savez-vous pas qu'on cherche autre part celui des Stuart, après cent ans de recherches infructueuses ?

Les farfadets

Nous sommes en l'an 732. L'armée de Charles-Martel, dans les plaines de Poitiers, livre bataille à celle d'Abdérame et la taille en pièces. Les Sarrazins échappés au désastre se sauvent dans toutes les directions. Une tribu d'entre eux échoue à Saint-Sauveur, se réfugie dans l'église et s'y fortifie. En bons défenseurs du sol natal, les habitants du lieu les assaillent et leur imposent un ultimatum :  se rendre ou mourir. C'était en mai, et comme la température était douce, ils promirent – en matière de dérision – de se rendre s'il givrait le lendemain. Le lendemain, il givra. Fidèles à leur promesse, désireux de vivre en France, vaincus par le prodige, ils se rendirent et se répandirent dans le pays, qu'ils habitèrent en cachette. À partir du fait miraculeux du givre en mai, Saint-Sauveur fut surnommé Givre-en-Mai.

Il a été question de Sarrazins, mais en Gâtine, ils ne sont pas connus sous ce nom. Les envahisseurs de l'église, d'après la légende recueillie, étaient des fafadets. Ils ont marqué leur passage un peu partout dans les Deux-Sèvres et autre part. Sans chercher ailleurs, on trouve dans le canton de Bressuire de nombreuses traces de leur séjour. Ils demeurèrent longtemps à la Boulardière, commune de Terves, aux environs de la motte du bois de Terves.

En certain temps, on venait de tuer, à la Boulardière, vers le carnaval, le cochon qu'on tue alors dans tout le bocage. On cuisina. Depuis le matin, à la grande cheminée cuisait la fressure, mets gâtinais composé de sang, de chair, de pain et de graisse bouillis ensemble. Un farfadet vint et s'installa près du feu pour surveiller l'opération. Quand elle fut terminée, pour le remercier de ses bons offices, on le pria de s'asseoir, par mépris de sa personne, sur le trépied où douze heures de temps le chaudron avait chauffé. Il s'y assit sans penser à mal et… brusquement relevé, disparut en criant « Cul brulé !  Cul brûlé ! ». Il paraît qu'on ne revit plus dans la maison le farfadet.

Les souterrains, seuls témoins de l'occupation du pays par les farfadets, leurs auteurs, ont à peine un mètre de haut. On peut en déduire qu'ils les creusèrent pour s'y cacher accidentellement, plutôt que pour les habiter constamment. Ils s'y réfugiaient pour éviter l'agression de leurs ennemis naturels, nos pères, dont la main était lourde. Ils en sortaient de préférence la nuit. Ces souterrains sont donc des caches, des refuges. Pour y entrer il fallait ramper. Après quelques instants de position horizontale, on reprenait la position verticale dans une chambre ronde dont les parois étaient taillées pour s'asseoir. Au milieu de la chambre, une pierre plate servait de foyer pour le chauffage et la cuisson des aliments. La fumée s'en allait par un trou creusé dans la voûte. Dans les champs, le terrier des farfadets était presque introuvable. Dans les bois, dans les forêts, ils l'étaient absolument. On a toujours soupçonné qu'ils surent réduire au perpétuel silence les voyageurs que la curiosité ou tout autre cause attira dans leur voisinage.

Il n'est pas question ici d'inventer mais de de se contenter de dire :  les souterrains-refuges ont été creusés par les farfadets, par les Sarrazins, qui, dans leurs courses interminables à travers l'Europe, ont trouvé – s'ils ne la connaissaient pas au départ – cette façon pratique de s'abriter contre la rigueur des climats, de défier les recherches et de résister victorieusement aux attaques des hommes et des fauves.