La révolution industrielle à Coulon. 

Jean-Louis Gibaud  


Vers le milieu du XIXe siècle, les travaux d'assèchement des marais s'accélèrent : on trace, on creuse les grandes rigoles, de nouvelles conches, des fossés.

À cette même époque, les maraichins commencent à acheter des petits champs dans la plaine pour y planter des vignes. Ces vignes étaient groupées dans des lieux appelés « fiefs ». 

Il y avait le fief Pâtissier, le fief de Peigland, le fief de Vauron, le fief de Bellevue, le fief de Touvaireau...

Souvent, au bout de la vigne, étaient construites des cabanes en bois ou en pierre pour abriter les outils, la charrue et la houe. Mais au début de l'automne, ces cabanes abritaient les perches utilisées, la nuit, pour attraper les alouettes avec un grand filet qu'on appelait le « traineau ». Cette chasse, de tout temps prohibée, apportait à ceux qui la pratiquaient, des ressources non négligeables par la vente des alouettes.

Ce  XIXe siècle amène dans le marais, à Coulon en particulier, une autre évolution : les habitants du marais, les huttiers, ou cabaneas 1, vivaient dans des cabanes en bois plus ou moins solides, plus ou moins aptes à lutter contre le froid et l'humidité. À cette époque, ils font alors construire des maisons en pierres. Ils en prennent les moellons, les pierres d'angle, les palantrajhes 2 aux carrières de Benet et de Champmoireau.

Depuis la nuit des temps, ces carrières de Champmoireau ont fourni les pierres des maisons de Coulon, et sans doute de son église. Au  XIXe siècle, il y avait à Champmoireau une bonne dizaine de carrières : l'Espérance, le fief Pâtissier, Vauron, Rocheneuve. La plupart ont été comblées parce que, souvent, les bêtes tombaient dans ces carrières et se blessaient. On faisait aussi des pones 3 pour la bujhàie 4, des ténbres 5 pour faire boire les bêtes, des rouleaux d'aire pour battre le blé, des rouleaux ordinaires pour les champs. Bref une industrie qui nécessitait un réel savoir-faire de la part de ces ouvriers tailleurs de pierre.

Les maraichins devinrent donc de bons clients de ces carrières. Mais pour amener ces pierres en plein marais sur de mauvais chemins, il fallait qu'un tombereau transporte ces pierres de la carrière jusque aux cales de la Sèvre dans le bourg de Coulon, que ces pierres soient chargées sur des bateaux plats et enfin qu'elles soient transportées à l'endroit où la construction devait avoir lieu.

Cette activité, disparue et oubliée de nos jours a employé un grand nombre de personnes au  XIXe siècle.

 

Une autre activité liée aux carrières et aujourd'hui disparue consistait à produire de la chaux vive à partir de fours d'abord chauffés au bois puis à la houille. Coulon eut son four à chaux. Ce four parait avoir été construit, comme ceux de Benet et de Coulonges, à côté de la gare. La chaux était mise sur wagons pour aller dans le bocage chauler les terres acides.

Le four de Coulon ne semble pas avoir eu l'importance de celui de Benet ni avoir eu une aussi longue vie.

 

Le tracé de la ligne de chemin de fer de Niort à Fontenay-le Comte souleva de nombreux problèmes – problèmes similaires à ceux liés au tracé des autoroutes aujourd'hui. Un premier tracé faisait passer la ligne dans le bourg de Coulon, mais devant l'opposition véhémente de plusieurs propriétaires de métairies, ce tracé fut abandonné. Un nouveau tracé fut proposé et enfin adopté, mais la gare était à 4 kilomètres du bourg !

L'activité des chemins de fer amena la ruine et la disparition de la navigation sur la Sèvre. Le trafic entre Niort et la Rochelle se faisait désormais par voie ferrée.

En cette seconde partie du XIXe siècle, il y avait donc beaucoup de travaux en cours : creusement des rigoles, aménagement de la voie ferrée et de ses ouvrages d'art. Ces travaux demandaient une abondante main d'oeuvre, en sachant bien sûr que l'on était loin de la mécanisation d'aujourd'hui.

Beaucoup de valets qui travaillaient dans les métairies furent tentés de rejoindre ces nouveaux grands chantiers locaux. Il s'ensuivit une pénurie de main d’œuvre. Il y eu moins de candidats pour les fenaisons, les métives 6 et les binages d'été.

Selon les dires des anciens, cette pénurie de main d'oeuvre a été la cause de l’arrêt de l'activité de l'usine de betteraves 7 qui s'était montée à Jumeau. On sait que cette usine a été en activité de 1865 à 1872.

Cette situation eut pour conséquence une accélération de la mécanisation dans les métairies. Pour les battages, les manèges remplacèrent les rouleaux d'aire, manèges eux-mêmes remplacés, à la fin du XIXsiècle par les batteuses-vanneuse actionnées par des chaudières à vapeur.

Les deux premières moissonneuses-lieuses arrivèrent à Coulon en 1907 à  Coupenté chez M. Nouzille et à Peigland chez M. Paris 8. C'étaient deux McCormick importées d'Amérique car, déjà, en ce début de XXsiècle, les Américains étaient champions toute catégorie ! Ma mère qui avait 13 ans en 1907 se rappelait de l'arrivée de cette machine, voilà ce qu'elle racontait :

« La maison McCormick avait envoyé en France des mécaniciens pour le règlage et la mise en route de ces moissonneuses-lieuses. Un américain vint donc à Courpenté et à Peigland pour la mise en marche de la machine. Ol étét ùn grand corp pa fénian qui causét pa françaes 9

Mais ce diable d'Américain, outre le réglage de la machine à Peigland, se mit à faire une cour pressante à une jeune chambrière de la métairie et cette cour n'a pas été du goût, mais alors pas du tout, des autres valets qui demandèrent à mon grand-père « de faere çheùque chouse avant qu'o séjhe trot tard 10». Conseil de guerre à la métairie : il fut décidé que la fille retournerait chez ses parents le temps que l'Américain finisse son travail sans que son gage ne soit diminué. Petite histoire liée à la mécanisation ! 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 - Habitants d'une cabane – ferme isolée.


2 - Linteau.

 

 

3 - Cuvier.

4 - Grande lessive annuelle.

5 - Abreuvoir en pierre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 6 - Moissons.

 

 plus
7 - Voir l'article sur la distillerie de Jumeau.

 

 

 

 

 

8 - Grand-père de l'auteur de cet article.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

9 - C'était un grand escogriffe pas fainéant qui ne parlait pas français.

 

 

10 -  D'agir (de faire quelque chose) avant qu'il ne soit trop tard.