La famille Lazare

Récit de Maurice Moinard


Craignant un débarquement, les Allemands ont fait évacuer ce secteur 1 et la famille Lazare s’est retrouvée, on ne sait comment, à Coulon le 8 mars 1943 : le père Lazare, Albert, 44 ans, né le 5 mars 1898 à Parroy (Meurthe-et-Moselle) préparateur en pharmacie « actuellement manœuvre agricole », la mère, Lucie, née Weil, 41 ans, et leurs 3 enfants, Micheline, 15 ans, Colette, 14 ans et Jean, 10 ans. (le même jour sont arrivés à Coulon venant de Royan, Esther Feist et Odette Parenthoen).

 

Un gendarme est venu prévenir les parents Lazare qu’une arrestation aurait lieu le lendemain matin. Lucie Lazare étant sur le point d’accoucher, il a été décidé de tenter de sauver les enfants en les soustrayant à la rafle.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             

Les enfants Lazare ayant réussi à s’ échapper ont d’abord trouvé refuge chez Roger Rouger, directeur de l’école de garçons de Coulon. C’était sans doute la seule personne qu’ils connaissaient et en qui ils avaient confiance compte-tenu de leur récente arrivée dans le bourg. En raison de l’emplacement de la maison d’école, auprès de la mairie, en plein centre du bourg, M. Rouger a estimé avec juste raison qu’il était imprudent de garder très longtemps les enfants chez lui d’autant que cela se passait en hiver et qu’il avait consigné les enfants dans le grenier dépourvu de chauffage.

M. et Mme Rouger entretenaient avec ma mère des relations d’amitié et de confiance depuis de nombreuses années. Après le décès de mon père, en novembre 1941, ils avaient à maintes reprises fait preuve de solidarité envers ma mère. C’est ainsi qu’ils lui proposèrent de m’héberger à Niort, dans un appartement qu’ils avaient loué au 60 de la route d’Aiffres, à partir de le rentrée scolaire de 1942. En effet, le lycée Fontanes était occupé par les Allemands et les cours avaient lieu en alternance au lycée de jeunes filles (le matin pour les garçons, l’après midi pour les filles puisqu’il n ‘était point question à cette époque de géminer les cours). Il n’y avait donc plus de cantine ni d’internat.

 

Mme Rouger et ma mère s’étaient organisées pour nous faire parvenir chaque jour la nourriture qui était nécessaire aux trois filles Rouger, Jeanne, Michèle et Jacqueline, et moi-même, grâce à Siméon Moreau qui assurait la liaison entre Niort et Coulon. Il déposait un panier à la gare de Niort où nous en prenions possession. Bientôt, Micheline Lazare s’était jointe à nous. Elle venait ainsi prendre ses repas à l’appartement et je la revois souvent habillée d’une grande cape kaki sur laquelle était cousue l’étoile jaune.

 

Pour soustraire les enfants Lazare aux recherches dont ils étaient l’objet avant de trouver un asile plus sûr, M. Rouger vint demander à ma mère de les héberger. Il savait qu’elle ne refuserait pas. C’est donc de nuit en traversant jardins, prés et champs, en franchissant les haies, que les enfants Lazare, conduits par M. Rouger, parvinrent jusqu’à Glandes, le village où nous habitons, distant de Coulon d'un kilomètre cinq cents environ. Ma mère et ma grand-mère tenaient à cette époque un petite épicerie où venaient s’approvisionner les habitants du village. On y vendait un peu de tout : de l’épicerie bien sûr mais aussi de l’étoffe, de la mercerie, de la lessive, du savon, etc. En ce temps de pénurie, la clientèle était assidue et chacun s'empressait de venir chercher les rares marchandises auxquelles les tickets de rationnement donnaient droit. Notre maison se composait de deux pièces principales au rez-de-chaussée séparée par un couloir où était installée l’épicerie, et à l’étage deux chambres et un vaste grenier. C’est dans ma chambre située juste au dessus de l’épicerie que les enfants Lazare furent cachés. Je me souviens que ma mère disait souvent qu’elle n’avait jamais vu autant de monde venir au magasin. Était-ce un hasard, une envie de savoir de la part de quelques voisines avides de nouvelles ou tout simplement la crainte qu’éprouvait ma mère devant le risque encouru non seulement pour elle et sa famille mais aussi pour les enfants dont elle avait la garde. 

Jean Lazare était enrhumé, ce qui n’a rien de surprenant en raison de l’époque où se situe cette affaire et sans doute aussi la conséquence de son séjour dans un local non chauffé. Toujours est-il qu’il avait souvent des quintes de toux qu’il s’efforçait d’étouffer en toussant dans un édredon afin que les clients de l’épicerie ne puissent l’entendre. 

Je ne sais plus combien de temps ces enfants sont restés à la maison. Le temps sans doute pour M. Rouger de leur trouver un asile plus sûr, à l’Enclave-de-la-Martinière, là où M. et Mme Rouger avaient été précédemment instituteurs et où ils avaient conservé de solides amitiés. Et puis il avait aussi fallu organiser le transfert, ce qui n’était pas simple compte tenu de la distance — plus de soixante kilomètres — à une période où les véhicules étaient plutôt rares. Heureusement M. Gédéon Pipet avait une camionnette équipée d’un gazogène, et c’est lui qui vint chercher les enfants Lazare à Glandes pour les conduire à l’Enclave. C’était aussi une personne de confiance et qui en d’autres circonstances avait fait preuve de courage si ce n’est de témérité. 

M. Rouger avait été instituteur dans ce village et il savait pouvoir compter sur la famille Garnaud ainsi que la famille Pelletier avec lesquelles il avait conservé de solides amitiés. 

 

Pour être sûr que les enfants Lazare soient accueillis dans les familles, M. Rouger avait envoyé sa fille Jeanne en reconnaissance. Celle-ci se souvient seulement avoir effectué le trajet (5 km environ) entre Melle et L’Enclave-de-la-Martinière à pied, en pleine nuit, à travers bois et champs.

 

Elle s’adressa tout d’abord à la Bertrandière, chez Jacques Pelletier, qui accepta bien volontiers de recevoir le garçon, Jean Lazare. Puis Jeanne Rouger se rendit au Quaireux chez M.et Mme Garnaud qui acceptèrent de recevoir les deux filles, Micheline et Colette.

 

Il fallait maintenant transporter les enfants ( qui étaient sous le coup d’un mandat d’arrêt) à l’Enclave-de-la-Martinière. On fit appel à Gédéon Pipet et sa camionnette à gazogène. Le transport se fit bien entendu de nuit, les enfants cachés à l’arrière de la camionnette sous des fagots. Jean Lazare se souvient qu’il faisait nuit et froid. Bref, les enfants étaient sauvés. Jean Lazare allait souvent au Quaireux voir ses sœurs et parler avec M. Garnaud qui avait une culture impressionnante.

 

Mme Pelletier et M. Garnaud avaient fait le voyage jusqu’à Niort pour prendre contact avec les parents Lazare qui étaient détenus à l’hôpital. Mme Lazare, qui était gardée par un policier, venait d’ailleurs de donner le jour à une petite fille, Danielle.

 

Par contre la santé de M.Lazare père était préoccupante et le 17 septembre 1944, il décédait. Mme Lazare et ses 4 enfants ont pu rester à Niort quelques temps, attendant que la situation se stabilise avant de retourner dans l’est. Après son décès c’est la fille aînée Micheline qui se consacra à l’avenir de son frère et de ses sœurs.

 

M. et Mme Pelletier et M. et Mme Garnaud ont reçu la médaille des « Justes » en 1995.

 

 

Jean Lazare, qui s’était établi comme chirurgien à Metz, a voulu honorer celles et ceux qui lui avaient permis ainsi que ses sœurs d’échapper à la déportation. Il a entrepris des démarches avec l’aide de M. Jean-Marie Pouplain et le 5 mars 2004. L’association pour l’hommage aux justes a décidé de conférer le titre de « gardien de la vie » aux familles Rouger, Ciron 2, Moinard et Pipet pour que leurs noms soient inscrits dans le Livre d’or pour l’hommage et la reconnaissance de la communauté juive de France.            

1 - La famille Lazare était, je crois, originaire de l’Est et était venue se réfugier sur la côte Atlantique, vers La Rochelle au Gué-d’Alleré.  

Cf. Les Enfants cachés de la Résistance de Jean-Marie Pouplain (1932-2006). Geste Édition 1998 - 

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2 - Nom d’épouse de Jeanne Rouger. 

 


Article Nouvelle République du Centre-Ouest