En souvenir d'une artiste peintre coulonnaise - Hélène Colin-Lefrancq
Jacques Altmeyer-Carrio
 
 


1915 – La guerre, celle que l’on appellera plus tard la Grande Guerre  fait rage aux portes de Paris.

Les Parisiens ont peur ; ils veulent fuir la capitale pour profiter du calme de la province au sud de la Loire.
Parmi ces milliers de citadins, deux femmes apparentées à la famille des Gennetières de Niort viennent se réfugier à Coulon. Cette famille de Niort connait bien Monsieur Jules Chatelet, marchand de bois qui vient de perdre sa belle-mère, Mme Virginie Moreau épouse Brunet, décédée le 20 avril 1915 (acte n° 12 du 20 avril 1915 - mairie de Coulon), habitant sur le halage le n° 64 quai Louis-Tardy.

Nos deux Parisiennes habiteront cette maison devenue libre ; la mère 68 ans, la fille 37 ans. Cette dernière étant née le 3 Juillet 1878 à Paris Xe au domicile de ses parents, 66 rue du Faubourg-Poissonnière (renseignements donnés par ma très chère amie Martine Beaufils née Sicot, arrière-arrière-petite-fille de la défunte). Son père est dessinateur.

 

Mais de qui s’agit-il donc ? 

De Mme Colin née Bodson et de sa fille Hélène Colin, connue plutôt sous son nom de femme Mme Mayer mais qui a toujours signé ses toiles du nom de Colin-Lefrancq . Aucun acte d’état civil la concernant ne porte le nom de Lefrancq ; alors, j’ai pensé à son parrain ou sa marraine, mais je n’ai pu avoir copie de son acte de baptême. Mme Colin s’est mariée avec Charles Léopold Mayer le 21 octobre 1926 à Paris VIIIe (acte n° 106). 

Dès lors Coulon abritait une artiste qui restera de longues années locataire de cette maison du bord de la Sèvre. Après 1918, elle y revint en vacances chaque année. Elle vécut à Coulon durant toute la Seconde Guerre mondiale. C’est à cette époque que je l’ai connue. Mes parents et ma grande tante étaient devenus ses amies. Ma mère posait pour elle durant de longues heures, par exemple pour Le Goûter au marais, exposé au Salon des artistes français en 1934, ce qui resta un grand moment de mon histoire familiale. 

Mme Mayer a donc été conquise par la beauté du marais. La preuve est là, sous nos yeux, concrétisée par un grand nombre de tableaux (40 exposés en 1942 à la galerie Aubert) et notamment ceux des mairies de Coulon, Magné, Niort, sans compter les œuvres se trouvant chez des particuliers (je remercie bien vivement les personnes qui ont bien voulu que je photographie les œuvres qu’elles détiennent). 

Mme Mayer était sans conteste une grande bourgeoise, raffinée certes, mais possédant un caractère bien trempé, ne faisant pas de concession sur la tenue, le langage, la politique (sujet que ma grand-tante aimait tant). 

Elle était surtout curieuse sur plus d’un point, on pourrait même dire « contradictoire ». 

 

Malgré une constitution fragile qui la laissait voûtée (je me souviens qu'elle finit sa vie coulonnaise pliée en deux), à 62 ans, en 1940, tous les matins d’été, elle prenait son bain à la cale devant chez elle, en maillot 1900. Très pudique bien sûr, elle ne faisait que se tremper quelquefois et remontait enveloppée dans son peignoir que tenait sa bonne, l’inénarrable Mme Jeanne, dévouée mais rouspéteuse. C’était pour nous, les enfants, un bon moment de rigolade sous le manteau. Le respect existait encore !... 

Notre artiste était très lente pour tout et, le dimanche, elle n’apparaissait à la grand-messe que tardivement, en général lors du prêche, avec des bruits de porte, de pas hésitants, de prie-Dieu renversés, ce qui mettait en rage le curé Dupont. Pour nous, encore des rires cachés !... 

Ces retards chroniques n’étaient pourtant pas dus à la faute de sa bonne, Mme Jeanne, qui houspillait et même rudoyait un peu sa patronne, si bien qu’on ne savait plus qui des deux était la maitresse ! Encore un sujet de franche rigolade. 

Un exemple entre nous : lorsque les deux femmes prenaient congé de mes parents, la bonne Mme Jeanne était obligée de lui répéter plusieurs fois « dépêchez-vous Madame, nous allons être en retard » mais notre amie continuait la conversation en lui faisant remarquer son impertinence... C’était comique. 

Cette Mme Jeanne, dont nous n’avons jamais su le patronyme, toujours vêtue de noir, contrastait avec sa patronne habillée de couleurs. Autant notre artiste était maladroite, fragile, autant la bonne était rapide et efficace et toujours chargée de paquets, paniers ou autres objets, elle qui pourtant marchait à petits pas mais en chaloupant, la faisant ressembler à un marin... Pour mes yeux d’enfant, c’était comique de voir se déplacer ce duo si différent. 

 

En réalité, ce duo était  un trio, car il existait un personnage, pas bien gros, mais se faisant toujours entendre. En effet, Zouzou, le chien de la maitresse était un petit cabot insupportable, ne voulant voir personne. Il avait une dent contre la bonne, aboyait contre tout et rien. 

Encore une contradiction : elle se plaignait du froid de l’église mais, très pratiquante, elle n’aurait jamais manqué un office. Par contre, une fois les vêpres terminées, ces dames, malgré le froid, donnaient une « conférence » sous l’avancée de la petite porte au grand dam du curé : « Certaines personnes se plaignent du froid dans l’église mais que font-elles sous le porche durant une heure, sinon de dire du mal des autres. » 

 

C’était sans réplique !... 

Madame Mayer se plaignait de tout, sur tout. Il faut dire que durant la guerre, les motifs en étaient nombreux. On sentait la « bourgeoise » qui auparavant, à Paris, avait tout son confort, elle qui vivait rue Barsano, puis plus tard, 1 rue François 1er Paris VIIIe, dans un très grand appartement. Or à Coulon, aucun confort à l’époque et les hivers de guerre 40-41 et 41-42 furent particulièrement froids.

 

Curieuse encore sous un autre aspect, Mme Mayer avait un langage châtié et je me souviens qu’un jour, à la veillée, elle nous racontait qu’elle n’avait jamais fait pratiquement de fautes d’orthographes. C’était, selon ses dires, inné chez elle (don d’observation noté dans Le Mémorial des Deux-Sèvres). Pourquoi ai-je retenu ce détail 60 ans après ?

Une dernière anecdote montre que la peinture dans le Marais poitevin fait prendre quelques risques. Un jour l’artiste s’était perdue dans les conches et fossés. La nuit tombée trop vite, elle ne retrouvait plus son chemin d’eau. Ses voisins étaient partis à sa recherche lorsqu’on ne la vit pas revenir. Il est vrai qu’elle partait dans l’après-midi assez tard, vers 16 heures, pour saisir sur le vif le marais qu’elle aimait tant à l’heure où les rayons obliques du soleil inondent tout de vert et d’une clarté tamisée. Mme Mayer ne peignait qu’à heures régulières. Elle fut surprise par la nuit ce jour là.     

 

Mais à part ces petits travers, plutôt amusants, Mme Mayer restait pour nous très sympathique. 

Sans son œuvre picturale, certainement importante mais dont je ne peux savoir le nombre – car existe-t-il seulement un catalogue ? – notre amie serait tombée dans l’oubli, raison pour laquelle j’écris ces quelques lignes, représentant pour moi comme un devoir de mémoire, l’ayant connue et appréciée. 

Cependant son œuvre est cotée au guide Akoun (1998) – cote des peintres – 20 000 francs (merci pour la cote donnée par mes amis Mme et M. Jacques Guinot. Jacques étant lui-même peintre). 

N’étant ni peintre, ni critique d’art, je ne peux absolument pas parler de ses toiles, sauf à dire que Mme Colin-Lefrancq est la seule, à mon avis, qui a rendu le marais d’une manière aussi juste aussi lumineuse dans la traduction des verts au soleil couchant, lorsque ses rayons obliques inondent le marais d’une clarté tamisée. 

Voilà la raison pour laquelle notre artiste partait en bateau assez tard l’été, vers les 16 heures : pour saisir sur le vif cet enchantement et non pas parce qu’elle « trainassait » comme nous le disions, sales gosses que nous étions, toujours prêts à nous moquer. Lente, très lente, d’accord, mais excellente artiste qui ne peignait qu’à heures régulières. Nous étions trop jeunes pour apprécier. 

Pour satisfaire notre curiosité, il suffit de relire les articles des critiques mais non moins érudits parus dans Le Mémorial des Deux Sèvres, ou Le Petit Courrier, ce dès 1926, ou, mis à part quelques phrases emphatiques, les talents de notre peintre sont mis en valeur. 

Tout d’abord, quelques remarques d’ordre général mettant en lumière : 

La vérité 

- « son titre de véritable peintre de notre marais »
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 6 juillet 1942 

- « depuis plusieurs années beaucoup de peintres ont essayé de traduire le marais de chez nous, mais tous ne l’ont pas compris » 

- « tout y est rendu avec vérité » 

-  « tous les personnages sont vivants » 

 Le Petit Courrier du 31/05/1944
Le rendu

- « caractéristiques d’un véritable style local et les perspectives ou alternent l’ombre et la clarté dans une atmosphère exquise de fraicheur, de calme et de silence » 
Le Mémorial des Deux-Sèvres du 6 juillet 1942

Enfin 

- « les vues de la Sèvre nous donnent une impression très juste de notre marais » - 

Le Mémorial des Deux-Sèvres du 23 mai 1926 

Les mêmes louanges concernent aussi son art du portrait ou elle excelle : 

-  « l’artiste excelle à l’occasion dans le portrait au pastel ou à l’huile » -

Le Mémorial des Deux-Sèvres du 6 juillet 1942 

 

Même sans aucune initiation en matière de peinture, on ne peut que souscrire malgré tout aux dires de l’auteur du Mémorial du 6 Juillet 1942 :

 

- « Madame Colin Lefrancq anime ses paysages avec des personnages parfaitement compris » 

-  « maitresse d’un dessin très sûr » 

- « possédant le don d’observation […] a brossé également des scènes d’intérieur »

  

Mais je pense que les plus élogieux compliments s’adressent surtout à son talent de peintre de paysages. 

Citons encore Le Mémorial des Deux-Sèvres du 4 mars 1943

-  « en se consacrant avec toute sa sincérité au Marais poitevin, elle a accepté le combat avec toutes les difficultés redoutées des paysagistes » 

-  « Il faut [...] rendre la délicatesse d’une luminosité, traduire  toutes les fluidités, évoquer ces doux bruits liquides »

Et pour moi, surtout ceci qui la distingue des autres peintres :

 -  « faire revivre tout à la fois le subtil accord du vert métallique et puissant des arbres avec celui du tapis d’herbes aquatiques et celui, plus mat, de l’épaisse barrière des hautes graminées » 

- « s’épuiser à travailler la gamme de ces verts végétaux gorgés d’eau et de soleil »

 

Sans bruit, comme elle était venue dans les années 1915, elle disparut de Coulon après un séjour chez Mlle Landreau pour mourir seule, à l’âge de 90 ans, le 8 juin 1968 à Maison-Laffitte. 

Elle est inhumée dans le caveau de famille au cimetière de Montmartre près de la place de Clichy à Paris, 19division, 1re ligne n° 11 avenue Debuisson, à côté de sa mère décédée à Coulon le 21 aout 1935 (mairie de Coulon acte n° 26).

Voilà 37 ans que notre artiste a disparu et combien de Coulonnais en gardent encore le souvenir ? Mais si la femme revêche en apparence est oubliée, l’artiste restera vivante pour encore longtemps je l’espère. Si Mme Mayer est inconnue maintenant, Hélène Colin-Lefrancq vit encore grâce à ses nombreuses toiles qui ornent des édifices publics et des intérieurs douillets d’heureux particuliers. 

Pour ma part, et grâce à l’extrême amabilité des personnes qui en détiennent, j’ai pu dénombrer 32 tableaux. Que sont devenus les autres ? 

Enfin, si ces quelques pages peuvent perpétuer sa mémoire, j’en serais heureux, pour elle, pour les Coulonnais, pour l’histoire du village.                         

                                        

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

Sources

Je remercie vivement mon ami Jean-Louis Gibaud qui a recherché et recopié toutes ces pages du Mémorial des Deux-Sèvres et qui a bien voulu m’en donner copies.