733 - La bataille de Champmoireau 


Les mouvements de troupes

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La Bataille de Benet Charlemagne Chamoreau par Alphée Suire 

Imp. Saint-Denis, 1936.

 

Cet ouvrage peut être consulté à la Médiathèque Pierre-Moinot à Niort, (collections patrimoniales).


En sortant de la ville de Niort par la route de Fontenay-le-Comte le voyageur remarque qu’il escalade, sur un parcours de six à sept kilomètres, une série de petits monticules depuis la côte Saint-Hubert jusqu’au lieu appelé Champmoireau, Chamoreau, Chamorea. C’est le point culminant qui domine toute la contrée environnante. À droite, Saint-Rémy, la plaine, au fond d’une cuvette ouverte au sein du plateau d’où accourent des quatre points cardinaux les eaux pluviales qui alimentent ce que les habitants appellent pompeusement « le lac ». Devant soi, la colline dévale doucement jusqu’à la ville de Benet, que l’on entrevoit, assise, comme une reine, au seuil de son domaine lacustre — « le marais », et non plus, comme jadis, Le marécage. À gauche, par une cassure brusque, le rocher tombe à pic. L’on aperçoit à quelques centaines de mètres les amorces du Marais poitevin et, par-delà le rideau des grands peupliers, l’on devine la vaste étendue des lagunes de Coulon, Damvix, Bazouin, Marans. L’œil n’a plus rien pour le fixer, que la cime des géants du marais et l’immensité du firmament qui se rejoignent dans le lointain. Cette crête de Champmoireau, qui se prolonge dans la direction de Lesson et de Saint-Pompain et se rattache à la colline de Chambertrand, délimite en partie les communes de Saint-Rémy, Benet et Coulon, tandis que le hameau de Champmoireau est entièrement sur la commune de Coulon. C’est dans cette dernière direction que le rocher s’abaisse brusquement. Et c’est aussi devant cette falaise, sans doute, que dans les temps imprécis où Niort était cité maritime, venaient s’abimer les flots de l’océan. Si les vocables n’ont pas été distribués au hasard, Champmoireau doit avoir, lui aussi, son sens personnel, sa signification propre. La discussion ne pourrait surgir que sur le choix de l’étymologie. Sans vouloir imposer notre préférence, nous devons, pour préparer sa justification, signaler le monticule voisin appelé Champbertrand. Si l’on rapproche ces deux noms et si l’on admet que Chambertrand est ainsi nommé parce que Bertrand Duguesclin y établit son camp, d’où il surveillait Niort et les environs, l’on peut soupçonner, sans témérité que Champmoireau est l’emplacement d’un camp d’où les Sarrasins — ou Maures — observaient, dans tous les sens, tout le pays voisin. De ce point, la vue s’étend dans toutes les directions, comme à Chambertrand, et cette position stratégique, tout en étant une menace pour l’ennemi, mettait l’occupant à l’abri d’une surprise de sa part. D’autant que, à deux ou trois kilomètres de là, au Moulin Blanc, un éperon, détaché de la butte de Champmoireau, se rapproche obliquement de la ville de Niort et de son faubourg de Bessac – l’antique Vicaria Bessiacinais – que l’on observe endormi à ses pieds. S’ils sont venus jusqu’ici, les débris des hordes d’Abdérame, pourchassés et errants, ont pu profiter de ces avantages pour y établir un campement et s’y retrancher. Ce serait l’origine du nom de Champmoireau donné à la butte. Faut-il appuyer cette étymologie, tenter d’établir cette hypothèse, essayer de donner vie à ce fantôme ? Il ne semble pas douteux que ces envahisseurs soient venus jusque dans notre région. Ils se posèrent même jusqu’à Noirmoutier. La grande invasion se fit sous la conduite d’Abdérame, qui venait du fond de l’Espagne et trainant à sa suite une armée d’aventuriers recrutés par les Maures.

Tous n’étaient pas combattants. En envahissant l’Aquitaine, ils n’avaient point l’intention de se retirer en emportant leur butin, mais ils comptaient bien garder leur conquête et la colonie « Cum uxoribus et parvulis venientes…, quasi haltaturi ». Ils venaient avec leurs femmes et leurs enfants, comme pour s’y fixer, dit Paul Diacre (740/801, Gesta Longob. Lib. VI. C. XLV11). Ils apportaient avec eux tout ce qui constituait leur avoir qui ne devait guère consister qu’en vêtements et en ustensiles de ménage. « Sarraceni cum omnibus familiis suis, quasi Galliam habitaturi, Garummard transcunt » « Les Sarrasins ? emmenant avec eux biens et familles, dans le but de demeurer dans la Gaule, traversent la Garonne. » (Sigebert de Genblours, 1030-1142 . Chron.T.CLX.).

C’est cette multitude informe et désagrégée qui venait pour profiter des victoires certaines de l’Islam, refouler les Aquitains et prendre leur place.

Ils avaient déjà submergé l’Aquitaine ; ils avaient dépassé Poitiers et battaient les murs de Tours menaçant le vénéré sanctuaire de saint Martin (historiens arabes). C’était probablement l’avant-garde de ces immenses colonnes d’envahisseurs.

Charles Martel, le terrible « Karle » des narrateurs arabes, parut enfin ; la ruée s’arrêta. Après plusieurs escarmouches autour de la ville de Tours, les Maures reculèrent jusqu’à Poitiers. L’on s’observe pendant sept jours ; le calme avant l’orage. Les Maures s’ébranlèrent, ils furent taillés en pièces.

D’après les récents calculs, basés sur « l’Art de vérifier les dates », cet événement décisif se produisit le 17 octobre 733.

Il est également admis sans conteste que la grande bataille, l’action principale, se livra à Moussais-la-Bataille, commune de Vouneuil-sur-Vienne, près de Poitiers. On l’appelle la bataille de Poitiers.

La nuit sépara les combattants. Le lendemain matin, le camp ennemi était vide. À la faveur des ténèbres, les Maures avaient fui, abandonnant leur immense butin.

La poursuite commença. Pourrions-nous imaginer ce qu’elle fut pour ce troupeau de femmes et d’enfants, fuyant sans guides, dans un pays inconnu où tout leur était hostile et sans autre but que d’échapper à une mort imminente ?

Ce fut un massacre immense, quoi qu’en disent à l’encontre des contemporains certains historiens modernes qui voudraient réduire à quelques centaines de mille le nombre des envahisseurs.

Toute cette multitude ne fut pas exterminée. Les plus vaillants regagnèrent péniblement l’Espagne ; d’autres, épuisés, s’arrêtèrent aux Pyrénées. Le plus grand nombre resta, ne pouvant fuir.

Ceux-ci, harcelés par un ennemi implacable, parce qu’il les redoutait, se cachaient lorsqu’ils ne pouvaient se défendre ; ils organisaient des retranchements lorsqu’ils croyaient pouvoir résister, ou qu’ils ne pouvaient plus fuir.

Ces débris se dispersèrent sur notre territoire et finirent, après de longues années, par fusionner avec notre race. « L’antiquité peu caute les a reccuz fort long temps en France, combien qu’ils l’ayent au passé, bien faschée » (du Chalard, P.100 a)

N’a-t-on pas dit que l’on retrouvait chez les habitants de nos marais, jusque dans la population sablaise, la caractéristique des types arabes et mauresques ? Ce qui prouverait déjà qu’une escouade des vaincus de Poitiers serait venue, dans sa fuite, échouer jusque dans le pays niortais, et au-delà. Ils y auraient laissé de nombreuses traces de leur séjour. Lorsque, dans la suite, les familles s’attribuèrent des noms patronymiques, le souvenir de l’invasion mauresque se manifesta dans leur choix ; et l’on trouve de nombreux More, Moreau, Moret, Morin, Moureau, Morineau, etc. Et même le langage populaire (à Sciecq au moins) en a créé un adjectif : on qualifie de « moret » ou « morette » un objet noir, une personne brune, ou tout simplement une personne ou un objet qui n'est pas absolument propre.

Des localités leur auraient emprunté leurs noms. Sans compter Champmoreau qui nous occupe, nous avons tout près de nous : Vaumoreau (Vouillé), Guémoreau (Saint-Maxire), Saumore (La Chapelle-Thireuil), etc.

Ne signale-t-on pas, à Saint-Pompain, les grottes des farfadets, gnomes malfaisants que la légende assimile aux Maures ?  À Puy-Hardy, l’on trouve le « cimetière aux chiens », qualificatif appliqué jadis aux Maures et que ceux-ci nous renvoient : « chiens de Chrétiens ! »

L’on objecte, en particulier, que Guémoireau est ainsi nommé parce que ce gué appartenait à un nommé Moreau. Ce n’est que reculer la solution. Le propriétaire tirait son nom d’une cause antérieure. Il semblerait moins compliqué de convenir que ce gué servit aux Maures, ou qu’ils l’occupèrent.

Non loin de notre butte de Champmoireau et sur le territoire de Saint-Pompain, sa patrie, le chanoine Morin crut avoir découvert des débris de poteries et d’ustensiles de ménage semblables de forme et de matière à des ustensiles qui sont encore en usage dans le nord de l’Afrique. Ces reliques des envahisseurs

Gemblours selon lequel les Sarrazins emportaient et amenaient avec eux tout ce qui constituait leur patrimoine : parents, familles et objets de ménage.

À ce faisceau de probabilités presque concluantes joignons un fait moitié légendaire, moitié historique, qui, jusqu’ici reste inexpliqué, mais qui se comprendrait si on pouvait le rattacher au séjour des Maures dans cette partie du Poitou, et spécialement sur la butte de Champmoireau.

D’où vient que de temps immémorial et jusqu’en 1604-1610, époque où Sully leur intima l’ordre d’abandonner le pays, d’où vient, dis-je, que des vagabonds, appelés « Bohémiens », revenaient chaque année et comme sur un mot d’ordre, se réunir dans la plaine qui se déroule entre Fontenay-le-Comte et Benet ? Cela, c’est un fait appartenant à l’histoire.

Abandonnons à la légende les causes merveilleuses de leur vie errante.

Ces errants, qui n’étaient pas des enfants de la Bohême, n’appartenaient pas davantage à la race locale. Tout, en eux, dénotait une origine orientale. Ils parlaient une langue appelée « argot » et formée, partie d’idiomes orientaux, partie de mots qu’ils forgeaient de la langue en usage dans les pays qu’ils parcouraient. « ils ont appris, pour mieux exercer leur métier, tel langage d’eux seulement entendu » (du Chalard, 1562)

Des extrémités de la France, et même d’Espagne (ce qui est à noter), ils arrivaient à ce lieu de rendez-vous. Et là, ils tenaient leurs assises solennelles, sur les bords de L’Autize de préférence. Ils élisaient leur Chef, le roi des Argotiers, lui juraient une fidélité inviolable et prenaient ses ordres.

Depuis quand s’accomplissait ce rite ? Nul ne le sait. Quelle en était l’origine ? Mystère !

Ils venaient là, dit-on, comme à leur berceau d’origine, et s’y considéraient comme étant dans leur « mère patrie ».

Il n’y a rien d’extraordinaire dans le fait que des vagabonds, des nomades, parcourent en tout sens la France et d’autres pays. Mais il est moins explicable de les voir, malgré des difficultés matérielles et malgré des pénalités légales, persévérer dans leur pèlerinage rituel, s’obstiner à converger, à des époques déterminées, dans le Poitou, vers un point précis, pour y accomplir et y renouveler un acte solennel, une sorte de consécration de l’autorité patriarcale, qui rappelle et resserre des liens de communautés d’origine, brisés dans ce lieu sans doute par un événement dont il ne reste pas d’autre souvenir. Il y a là une raison profonde qui nous échappe, mais à laquelle obéissaient ataviquement ces mystérieux Bohémiens.

Les orientaux, on le sait, vivent de traditions, même inexpliquées, qu’ils ont reçues de leurs ancêtres et qu’ils transmettent à leurs descendants.

L’autorité de Sully faillit se briser contre la ténacité de ces nomades. Malgré les peines infligées, il fallut six ans (1604-1610) pour les réduire. Ils venaient toujours à leur rendez-vous. Il fallut employer la force, recourir à la violence, même à des exécutions capitales, parce que leurs actes n’étaient pas toujours conformes à la morale. » (du Chalard, ibid.)

Bien entendu, il ne faut pas confondre ces « Bohémiens » avec les bandes de brigands qui se formèrent des débris des partisans des guerres civiles.

Et ce fait étrange est accompli par des gens sans patrie, comme les Maures envahisseurs, qui avaient abandonné leurs foyers sans espoir d’y revenir ; par des orientaux, comme l’étaient les Maures-Arabes, sur les lieux où les Maures étaient venus planter leurs tentes, et, comme nous le verrons tout à l’heure, se faire écraser par Charlemagne.

Ne pourrait-on pas admettre que ces « Bohémiens » étaient les descendants des envahisseurs de 733, venus se réfugier dans la plaine et sur la butte de Champmoireau ?

Nous trouverions dans tout ce qui précède de sérieuses présomptions pour étayer notre thèse. Mais nous avons, par surcroit, des preuves authentiques pour établir la réalité de l’occupation de la colline de Champmoireau et des environs par un fort parti mauresque.

Elles nous apparaissent sous forme d’un document daté d’octobre 1593 et signé Henri. Il est extrait des Manuscrits de dom Fonteneau (T.I., p. 261), et cité par Brochet. (Histoire des guerres de Religion. T.II. p.116 et séq.).

Ce document n’est lui-même, comme il apparait dans le texte, que la confirmation par Henri IV « des droits, privilèges et exemptions » accordés par Charlemagne aux habitants de Benet. Ces privilèges avaient déjà été confirmés par les rois de France, Charles VII, Louis XI et Henri III.

Il commence par rappeler que ce roi (Charlemagne) « entre autres grandes guerres, avait conduit même contre les infidèles et les ennemis de la foi chrétienne, desquels par plusieurs et diverses batailles, il nétoioit (nettoyait) le païs d’Aquitaine….

Il avait remporté une notable victoire paroisse dudict Benet… où il défit ses ennemis, non cependant sans une grande perte de plusieurs seigneurs et gens de guerre de son armée, qu’il fait honorablement sépuldier en ladicte paroisse de Benet, en beaux tombeaux de pierres blanches. »

« les habitants dudict lieu se montrèrent très obséquieux tant à inhumer les morts qu’à faire tous les services dudict roi (Charlemagne), lequel en commémoration desdictes victoires et afin que sur ledict lieu, fut faite une perpétuelle recommémoration des seigneurs, gens de guerre morts dans ladicte bataille pour la foi chrétienne, fit construire l’église paroissiale dudic lieu et y fonda un service annuel pour y être prié Dieu à jamais, tant pour les âmes des rois de France, décédés et à décéder, qu’autres princes et seigneurs et gens de guerre morts dans ladicte bataille… et ordonne que tous les chapelains qui voudraient se trouver audict service fussent priés de sallarisez au dépens desdicts manants et habitants de Benet. »

« ….pour récompenser et les relever desquelles charges, les affranchit et les dispenses de toutes tailles et impositions royales ordinaires qu’extraordinaires. »

Les habitants de Benet, soucieux de conserver un document qui leur était aussi avantageux qu’honorable, en confièrent la garde à l’abbaye de Charroux, dont relevait le prieuré de Benet.

Pendant la guerre de 10 ans, les Anglais s’emparèrent de l’abbaye et la brûlèrent. La charte de Charlemagne fut détruite. Pour réparer cette perte, les habitants de Benet s’adressèrent à Charles VII, lui firent constater qu’ils avaient toujours fidèlement accompli les charges que leur avait confiées Charlemagne. Charles VII leur délivra une nouvelle charte, établissant l’origine et la légitimité de leurs droits. C’est celle-ci qui fut successivement confirmée par Louis XI, Henri III et finalement en 1593, quelques mois après le retour d'Henri IV dans le sein de l’église catholique, les habitants de Benet lui adressèrent une requête. Henri IV confirma ce qu’avait fait « ledit feu roi, saint Charlemagne… notre ancien prédécesseur de la saincte et glorieuse mémoire… et le feu roi Henri le dernier, décédé. »

C’est de cette dernière pièce que sont extraits les textes qui précédent.

J’entends l’objection : le document nous apprend qu’il y eut, paroisse de Benet, une grande bataille gagnée par Charlemagne sur des infidèles. Mais, il n’est pas spécifié que ces infidèles étaient des Maures. Et, par suite, l’on n’en peut pas déduire à priori, que Champmoireau y a gagné son nom.

Par contre, notre thèse sera établie si on arrive à prouver que cette bataille net put avoir été livrée que contre les Maures.

Un point important est déjà établi par le texte même du document, à savoir que, si l’action se passa en Aquitaine, paroisse de Benet, ce ne fut pas contre les Aquitains, ce fut contre les infidèles, des ennemis de la foi chrétienne. Les Aquitains n’étaient ni l’un ni l’autre.

Un second point est également élucidé. Ce combat de Benet eut lieu avant l’an 800, puisque Charlemagne est appelé « roi » et non « empereur ». Nous aurons l’occasion de lui assigner une date bien antérieure à l’an 800.

Abordons le point obscur : quels étaient donc ces « infidèles » vaincus à Benet ?

Tout d’abord, il est expédient d’écarter les normands que quelques-uns auraient voulu, à tort pensons-nous, reconnaitre dans ces envahisseurs vaincus à Benet, « infidèles et ennemis de la foi chrétienne ».

En effet, les Normands apparurent la première fois en Angleterre vers 449. Ils ne s’y installèrent que momentanément.

 

Vers 516, ils remontèrent le Rhin ; ils furent détruits.

Ce ne fut que 300 ans plus tard, en 793, qu’ils reparurent sur les côtes d’Angleterre et que Charlemagne apprit, dit-on, leur existence.

Charlemagne, par la suite, entreprit deux campagnes contre les Normand. La première, en 808, dont la direction fut confiée à ses généraux. La seconde, 810-811, fut commandée par Charlemagne en personne, qui les poursuivit jusqu’au confluent du Weser et de l’Aller, deux cours d’eau de l’Allemagne actuelle.

Du temps de Charlemagne, on le voit, les Normands n’avaient pas envahi la France et ne s’y étaient pas implantés. Les luttes de Charlemagne contre les Normands n’eurent lieu qu’après 800, et à l’extrémité nord de son empire.

Ce ne sont donc pas eux qui furent battus paroisse de Benet.

Toutes ces précisions sont tirées du tableau des expéditions de Charlemagne dressé par M. Guizot dans son Histoire de la civilisation en France (T.II p.116 et seq.)

Le même tableau va nous servir pour éliminer d’autres infidèles contre lesquels lutta Charlemagne, mais non en Aquitaine.

Depuis son avènement, 768 jusqu’en l’an 800, date de son couronnement comme Empereur, Charlemagne fit 31 campagnes. Les deux tiers - 22 - furent dirigées contre des « infidèles » : Thuringiens, Bavarois, Huns ou Avares, Slaves et surtout contre les Saxons qui avaient déjà contracté la funeste habitude de parjurer leurs engagements et dont il fallait constamment réprimer les révoltes.

Ces peuples étaient bien des infidèles, mais aucun d’eux n’envahit les états de Charlemagne ni, en particulier, l’Aquitaine, dont ils étaient séparés par toute la largeur de l’Empire.

Il faut donc chercher ailleurs les belligérants de Benet.

Par ce même tableau, nous apprenons que Charlemagne, dans ce même intervalle 768-800, fit deux campagnes contre d’autres « infidèles » : les Maures d’Espagne.

La première eut lieu en 778. Elle fut entreprise parce que Charlemagne fut informé des préparatifs que faisaient les Maures d’Espagne pour envahir de nouveau la France et venger la défaite de Poitiers. Il résolut d’aller briser leur élan jusque dans la source de leur puissance. Il dirigea en personne toutes les opérations. Il ne semble pas qu’il ait rencontré quelque résistance pour traverser les Pyrénées, ce qui prouverait qu’il n’y avait plus de Sarrasins, sur ce versant au moins. Il s’empara de Barcelone, Huesca, Girona, Pampelune, Saragosse, Barcelone et aurait définitivement rejeté par les Maures hors d’Espagne si les Saxons, violant pour la cinquième fois leur parole, ne l’avaient forcé à abandonner sa conquête pour voler à l’autre bout de son royaume et châtier les félons. Verden ! les vaincus ne songeaient même pas à profiter de cette retraite précipitée pour harceler le vainqueur. L’on sait que ce furent les Vascons, alliés de Charlemagne, qui se chargèrent traitreusement de cette besogne, en écrasant, dans les défilés de Roncevaux, le valeureux Roland et ses preux.

La lutte, on le voit, se passa entièrement en Espagne.

Ce n’est donc pas encore dans cette expédition que Charlemagne combattit, contre les infidèles, en Aquitaine, paroisse de Benet.

La seconde campagne fut plus longue. Commencée en 797, elle ne fut qu’une suite ininterrompue de combats acharnés jusqu’en 804. Les Maures avaient repris tout ce que Charlemagne leur avait enlevé en Espagne. Ils avaient de nouveau passé les Pyrénées et occupaient plusieurs grandes villes, en particulier Narbonne et faisaient peser sur les Chrétiens un joug barbare. Charlemagne confia cette seconde expédition à son neveu, le duc Willelhm, qui fut le porte-épée du jeune roi Louis d’Aquitaine avant de devenir moine, et saint Guillaume de Val-Gelon.

L’action commença en Septimanie, en partie occupée par les Maures. Le duc de Willelhm subit des revers. Mais bientôt, par une lutte acharnée, il força, quoique vaincu, l’ennemi à ne dépasser Narbonne que de quatre lieues et lui-même se retrancha dans Carcassonne. Puis il finit par les refouler en Espagne. Il s’empara de Barcelone et de toutes les anciennes conquêtes de Charlemagne, qui formèrent dans l’empire Franc ce qu’on appela la « Marca Hispanica » et qui comprenait toutes les provinces du nord de l’Espagne jusqu’à l’Ebre.

Si les hostilités de cette campagne commencèrent sur le territoire de la France, elle se déroulèrent bientôt en Espagne. L’invasion n’arriva pas à Carcassonne. Ce n’est donc pas encore dans cette expédition que l’on pourrait ranger la bataille de Benet.

Cependant, nous nous trouvons en présence d’un fait : une grande bataille gagnée, à Benet, par Charlemagne contre des « infidèles » et des ennemis de la foi chrétienne.

Puisque, sous le règne de Charlemagne, aucune invasion d’ « infidèles » ne poussa jusqu’à Benet, il faut conclule que ceux qui y furent battus y étaient établis avant l’avènement de Charlemagne en 768.

Et nous savons qu’une grande invasion, avec femmes, enfants et biens, vint se briser à Poitiers et laissa dans toute l’Aquitaine une immense armée de fuyards, incapables de regagner les lieux de leur origine. Nous sommes amenés à considérer comme un fait établi ce que, jusqu’ici, nous n’envisagions, prudemment, que comme hypothèse : les vaincus de Benet étaient des débris de l’armée d’Abdérame établis sur le territoire de la paroisse de Benet, sur la butte à laquelle, par la suite, on donna leur nom : Chamoreau, le camp des Maures.

Est-il possible, en se basant sur ce qui précède, d’assigner une date à cette bataille ? Peut-être serait-on porté à croire que ce fut avant 778.

Il ne serait guère croyable que Charlemagne, grand capitaine, malgré les doutes élevés par M. Thiers (il ne subit jamais un échec lorsqu’il commanda), ait entrepris une campagne contre les Maures d’Espagne, et aurait eu l’imprudence de laisser derrière lui, au cœur de ses provinces, de forts partis mauresques qui pouvaient devenir des alliés naturels de ceux qu’il allait combattre et lui donner des inquiétudes pour son retour.

D’autant que ces étrangers avaient pullulé sur le territoire et leurs enfants, à la mamelle au moment de la bataille de Poitiers, étaient devenus redoutables et menaçants sur de nombreux points du territoire. Nous en trouvons la preuve dans le début du texte du document : « Henri, par la grâce de Dieu….nos chers et bien aimés habitants du bourg et paroisse de Benet, en Poitou… nous ont fait dire et démontrer que, ayant le feu roi, saint Charlemagne, notre ancien prédécesseur de sainte et glorieuse mémoire, entre autres grandes guerres qu’il avait conduit contre les ennemis et infidèles de la foi chrétienne desquelles par plusieurs et diverses batailles, il netoioit (nettoyait) le pays d’Aquitaine ».

Il est donc certain que ces clans et agglomérations des Maures étaient nombreux en Aquitaine et que ce n’était pas sans de rudes et sanglantes batailles que Charlemagne nettoyait ce pays.

Il faut donc en conclure logiquement que, avant de s’aventurer en Espagne, jusqu’à l’Ebre, Charlemagne avait pris la précaution de « nettoyer », auparavant, tous ces foyers d’ennemis, menaçant d’entraver sa route qui était précisément par l’Aquitaine.

Concluons donc que la bataille de Benet eut lieu avant la première campagne d’Espagne, avant 778.

Nous sommes loin, alors, de pouvoir admettre que les belligérants de Benet étaient des Normands. Nous avons vu que Charlemagne n’aurait appris leur existence qu’en 793.

Que sont devenus les « beaux tombeaux de pierres blanches » dans lesquels Charlemagne fit « sépuldier » ses braves guerriers tués dans le combat ? En reste-t-il trace ?

Il en existait en 1593 ; et ils étaient des objets de vénération. Le document nous dit que quelques « tombeaux apparaissent encore entre grand nombre et diverses maisons et endroits dudict bourg et paroisse de Benet ». Ils furent l’objet de « fréquents procès-verbaux de la visitation des lieux où ont été sépulturées » les victimes de cette grande bataille.

Tout récemment, l’on a découvert à Mantais « de beaux tombeaux en pierres blanches ». Mantais est un petit village de la commune de Coulon et très voisin de Benet. il est situé au pied de la colline de Champmoireau et il a dû se trouver englobé dans la périphérie du champ de bataille.

Ces beaux tombeaux seraient-ils ceux qu’aurait utilisés Charlemagne ?

Si l’on objecte que l’action se déroula « paroisse de Benet » et que Mantais est de la paroisse de Coulon, l’on peut répondre que les circonscriptions des paroisses en 778 n’étaient pas les mêmes que celles d’aujourd’hui et que, à cette époque, la paroisse de Coulon n’existait peut-être pas encore.

Au surplus, ceux qui se sont occupés de l’histoire de notre département savent à quelles discussions donna lieu sa délimitation, précisément sur ce point du territoire. Le hameau d’Ambreuil, en particulier voisin de Mantais, fut âprement disputé par les tenants du département de la Vendée.

Mantais comme Ambreuil, s’ils existaient, pouvaient appartenir à la paroisse de Benet.

De sorte que l’on ne peut rien inférer du rattachement actuel du village de Mantais à la paroisse de Coulon.

De ce que les noms des localités ne leur ont pas été distribués au hasard, faudrait-il conclure que le lieu nommé le « Grand Cimetière » situé lui aussi dans la périphérie de la butte de Champmoireau, mais à l’autre extrémité de Mantais et sur la paroisse de Sainte-Pezenne, fut réellement un cimetière.

Ni Sainte-Pezenne, ni Saint-Rémy, n’ont eu besoin d’un « grand cimetière » pour inhumer les morts, et surtout si éloigné de ces centres. Au contraire, à cette époque les cimetières se trouvaient autour des églises. Il ne semble pas que ces paroisses soient pour quelque chose dans cette dénomination.

Y aurait-il une autre cause ?

Proviendrait-elle des inhumations des Sarrasins tués dans la bataille de Benet ? Ils ont certainement été inhumés comme des guerriers de Charlemagne, mais non en de « beaux tombeaux de pierres blanches ».

Un drame se déroula sur le plateau qui domine et commande toute la plaine environnante et où l’Islam, par les descendants vaincus de Poitiers, renaissait de ses cendres et molestait les populations indigènes.

 

Charlemagne vint y briser cette puissance nouvelle. Il délogea les Maures des retranchements où ils s’étaient fortifiés. La postérité donna à ce lieu le nom de « camp des Maures », « Champmoireau » qu’il a conservé jusqu’à ce jour.