L'aumônerie de Coulon


 

 Depuis des temps très reculés, il est fait mention d’aumôneries ou maladreries, lieux ou sont soignés les malades indigents, où les lépreux sont parqués sous le nom de cagots 1. Les ladreries ou maladreries étaient désignées par cagotteries dans le Bas-Poitou. La cagotterie de Magné est actuellement la ferme de la Gravée.

 

Ensuite, lors des pèlerinages et des croisades, les aumôneries servirent à abriter ces célèbres voyageurs. En ces temps, les chemins n’étaient pas sûrs pour le moins que l’on puisse en dire. Les brigands rançonnaient et pillaient les villages. Et comme les aumôneries étaient toujours situées à la croisée de chemins et en dehors des bourgs, les seigneurs les firent protéger.

 

L’aumônerie de Coulon fut créée probablement au temps de Saint-Louis, peut être par les Lusignan. Elle n’accueillait que les pauvres passants et les pélerins. Elle fut détruite en 1568 pendant les guerres de Religion. La maison actuelle, dont les pierres dépassantes s’appellent « corneilles » ou « cornettes », a été construite après 1800. Elle fut fondée par les Lusignan 2, comtes d’Eu. Les plus pauvres de la paroisse recevaient la charité des mains même du curé, en particulier lors des grandes fêtes religieuses et des enterrements des plus riches.

  

Le seuil du Poitou, le passage de la Sèvre Niortaise, les routes du blé et du sel amenaient à Coulon des « étrangers » qu’il valait mieux contrôler dès l’entrée du bourg. On les nourrissait, on les couchait quelques nuits et on leur demandait, énergiquement si cela était nécessaire, de poursuivre leur chemin. Toutefois, le Moyen-âge restait marqué par l’image du pauvre qui est protégé par le Christ rédempteur.

 

Les aumôneries appartenaient aux gens d’église qui en avaient les revenus et profits sous forme d’aumône, comme en témoigne l’acte suivant :

 

« Le 18 mars 1631 honorable homme maitre Pierre Coupprye, procureur au siège royal de la ville de Niort et y demeurant en […] et comme procureur spécialement fondé es procuration spécialle de noble Jehan Pidou seigneur de Mallacquet conseiller du roy, prestre, chanoine et sous chantre de l’église de Saint-Hilaire le Grand de Poitiers, pourvu de l’aumonerie de Coullon, prend pour Pidoux possession réelle actuelle et corporelle d’icell dicte aulmosnerys fruictz prouffitz revenuz et esmolluman d’icelle, logis batimans et toutes aultres choses générallement quelconques en déppendans sans aucune close ni réserve, et ce en vertu des provisions par ledict Pidoux obtenues de nostre Saint Père le pape et visa du trésorier de Saint-Hilaire auditeur général, 1631, le 22 février, donné sur le refus de l’évêque de Saintes, en vertu de l’arrêt du parlement du 3 février dernier (1631).

 

Il faut croire que ces revenus étaient intéressants puisqu’aussi bien en 1632 en 1692, il y eut des procès engagés pour déterminer le véritable usufruitier de l’aumônerie de Coulon.

 

 

La remise en cause

L’église, alors toute puissante, est malgré tout incapable de résoudre tous les problèmes qui se posent, comme l’entretien des locaux, du mobilier, la restauration régulière des passants, le minimum d’aide médicale dès qu’une grande crise, une disette ou une famine survient.

 

Avant le XVIe siècle, l’Église, grâce aux dont important et aux revenus agricoles en nature, avait pu surmonter certains des plus grands malheurs provoqués par la guerre de Cent Ans. Avec la Réforme protestante et après les penseurs de la Renaissance, l’Église n’est plus considérée comme « mère des pauvres ».

 

Les guerres de Religion furent terribles dans tout le Poitou. Les soldats catholiques et protestants dévastèrent bon nombre d’aumôneries et ruinèrent leurs fermes. Papiers et parchemins de fondation (les titres de propriétés) furent perdus à jamais.

 

Olivier Loth écrit que l’aumônerie de Coulon fut probablement détruite en 1568 ce qu’il faut rapprocher de l’incendie du clocher de l’église en 1569.

 

Plus grave encore, le pauvre n’est plus un des élus de Dieu, à partir de cette période. Le pauvre doit être assisté au lieu de sa résidence. Cette société nouvelle rejette le vagabondage et l’oisiveté, idées relayées par les protestants qui n’admettent pas les pèlerinages. Pour eux, c’est une forme de superstition à supprimer.

 

Les connaissances progressent. La production des armes, des tissus,  a besoin de plus en plus de bras. Les rois de France rêvent, avec les premiers patrons de manufacture, « d’enfermer » et de former une main d’œuvre nouvelle.

 

Dans cette profonde remise en cause, les aumôneries du Poitou, comme celle de Coulon, sombrent dans la confusion procédurière.

 

Les procès

Il faut croire que les revenus de l’Aumônerie de Coulon, après 1600, restaient assez importants car deux procès eurent lieu :

-  Le premier, en 1632, entre Jean bazille, religieux de l’abbaye de Nieul-sur-l’Autize qui dominait le prieuré de Coulon, contre maître Étienne Baudin chanoine de Magné, messire Robert de la Roche Vallée et contre Jehan Pidoux seigneur de Mallacquet, conseiller du roy à Poitiers.

-  Un second, en 1692, opposa Estienne Bourolleau chanoine de Magné, les chevaliers de l’ordre de Saint-Lazare et contre le sieur Piet, curé de Soubise. C’est l’un des nombreux procès que les bénéficiaires des revenus des aumôneries tentèrent contre l’ordre de Saint-Lazare. L’édit royal de 1672 lui avait donné la gestion de tous ces établissements. Lassé de cette confusion Louis XIV intervint brutalement, en 1693, pour tenter de créer des hôpitaux chargés de soigner et surtout faire travailler les « pauvres oisifs », les chômeurs de l’époque. C’est pourquoi, en 1695, l’aumônerie de Coulon fut réunie à l’hôpital de Chizé nouvellement établi. Cependant les feuillants de Poitiers qui possèdent des droits et des revenus dans la cure de Coulon, distribuèrent l’aumône « aux pauvres du prieuré et cure de Coulon » lors du « grand hiver de 1709 », sans qu’ils y soient obligés.

Laurent Marchaud, pour l’ensemble du Poitou, note la disparition, au XVIIe siècle, de 62 % des aumôneries et petits hôpitaux, parfois en faveur de nouveaux hôpitaux bâtis de toute pièce comme à Poitiers.

 

Arrêt de la cour du 16 juillet 1692 

Dans cet arrêt de la cour, Étienne Bourolleau, prestre chanoine du chapitre de Sainte-Catherine de Magné est qualifié de « propriétaire » de la chapelle atipendiée ou aumosnerie de Saint-Sauveur à Coulon. Les déffendeurs font défaut :

« avons maintient et gardé le demandeur en la possession et jouissance de la chapelle stipendiée ou aumosnerie dont est question et fait deffences au deffendeurs de l’y troubler sur les peines que de droit et avons en outre condamné lesdits deffendeurs au despans chacun à leur égard. »

 

En 1695, un édit du roi Louis XIV instituait l’établissement d’un hôpital dans la ville de Chizé auquel seront unis les biens et revenus des aumôneries de Saint-Jacques de Chizé, de Prahecq et de la Chapelle Sainte-Catherine en dépendant, d’Availles, d’Aulnay, de Saint-Léonard, de Brioux et de Coulon.

 

Après cette union, l’aumônerie de Coulon semble appartenir aux feuillants de Poitiers car en 1709, une sommation est faire à ceux-ci en la personne de Nicolas de Sainte-Anne, prieur, pour comparaître devant monsieur Chebrou, conseiller du roi au siège royal de Niort et subdélégué de l’intendant pour représenter les titres de l’aumône, qu’on distribue aux pauvres du prieuré et cure de la Sainte-Trinité de Coulon.

 

Le 22 mars 1725, Nicolas de Sainte-Anne écrit :

« Le prieuré et cure de la Sainte-Trinité de Coulon n’est obligé à aucune aumône, tous nos titres consiste en bulles des papes pour la dite union avec la fulmination et arrests du parlement de bordeaux, les fermes [?] faittes en conséquence, depuis l’union du dit prieuré ou il n’est parlé d’aucune aumône, les autres titres sont des lieux, tout cela vous sera, Monsieur, produit quand vous le jugerez à propos, ledit prieuré étant cure n’est pas dans l’usage d’aucune hospitalité ni aumône ; la mère étant l’abbaye de Saint-Vincent de Nieul, c’est là suivant toutes les apparences que l’hospitalité et l’aumône était faitte. »

 

La ferme de l’aumônerie

Pour terminer, mentionnons que la ferme de l’aumônerie existait toujours en 1766. Sur le rôle d’imposition royale de Coulon, Louis Breillat, laboureur à 2 charrues est taxé à 45 livres. En 1789, François Ravard, nouveau fermier de l’aumônerie payait 72 livres. Mais les revenus ne servaient plus aux pauvres passants comme au Moyen-âge.

La Maison d’habitation que l’on voit encore actuellement a été, selon Olivier Loth, construite après 1800 et après la vente des biens nationaux, elle possédait alors 40 hectares environ. L’exploitation même a été revendue en 1838 et morcelée ensuite.

Quoi qu’il en soit, ces bâtiments nous rappellent que dans les sociétés beaucoup plus modestes que la nôtre, la solidarité et l’accueil s’exerçaient à la porte de chaque gros bourg ou ville en faveur des « pauvres de Dieu » et des pèlerins. 3

 

En 1818, la métairie de l’aumônerie était louée pour 1 220 francs, en 1836 pour 1 120 francs, en 1834 pour le même prix à un nommé Soulisse. Elle fut vendue en 1 838 pour la somme de 63 000 francs.

  

Le franc de 1820 équivalant à 320 francs de 1969, l'aumônerie s'est par conséquent vendue pour la somme de 20 256 000 francs de 1969. Au coût moyen de 500 000 F l'hectare, sa superficie était donc de 40 hectares environ.

 

 

En 1837, le 4 juin, Me Crochery, notaire, vend, sur ordre de la commission de Chizé, la métairie de l’aumonerie : 27 lots plus le Champ Bachelier (vente à part) :

-        le 27e et dernier concerne une maison d’habitation composée d’une chambre basse, un grenier au-dessus, une autre chambre avec grenier dessus, grange, écurie et des terres.

-       Du levant et du nord au chemin de Coulon à Benet ; du midi à celui de bois guichet ou Baudichet ; du couchant à la terre de M. de Sainte-Hermine.

 

Adjugée à François Breillat pour le prix de 3 560 francs.

 

Lors de cette vente, une clause concernait un terrain de 45 ares dépendant de cette aumônerie appelé Champ Bachelier ou Champs Niquet jouxtant celui des Justiciers. Ce terrain fut adjugé à Jean Pelletier domestique chez M. Faribaud au bourg. L'acquéreur devait s'acquitter d'une redevance dite redevance du gâteau, charge estimée à 1 franc par an. La famille Magnan fut la dernière à payer cette charge.

 

Le 25 mai 1840, à l'étude de Me Crochery, notaire, est conclue la vente par François Breillat père à Louis Breillat son fils, d’une grange appelée « la Bourrie » située audit lieu de l’Aumônerie, presqu’à l’entrée du bourg de Coulon et à gauche du chemin qui conduit du bourg à Benet, ensemble, un petit terrain au midi de cette grange et y attenant, lequel forme un triangle et un coin du levant de ladite grange sur le chemin de Benet et le droit de puisage au puits de l’Aumônerie placé à l’entrée de la cour ainsi que celui d’abreuver les bestiaux.

 

À la fin du XIXe siècle, « le Petit Breillat », boucher, demeurait dans cette maison.

 

En 1865 le conseil municipal fait observer que d’ancienne date la commune a des droits acquis pour des places à l’hôpital (Coulon disposait de 4 lits). Ceci venait à la suite de la suppression d’aumôneries telles que cette de Coulon et leur réunion à l’hôpital de Chizé (voulue par Louis XIV en 1695).

 

À cette date, l’aumônerie devient une métairie. Au cours des années, elle fut l’objet de baux de ferme présentés ici sous forme de tableau :

  

Date Propriétaires bailleurs Preneurs  Prix
28 juin 1877 Commandeurs de Notre-Dame du Haut Carmel Pierre Gouhet de Niort 

150 livres à Noël

et à la Saint-Jean

 09 mai 686 François Broyé de Sangy, commandeur François Morin, laboureur à Coulon  200 livres
07 mai 1691 Jean-François Portal, écuyer, de Poitiers François Morin ?
20 aout 1705  Administrateurs de l'hôpital de Chizé Philippe Morin, laboureur et Françoise Bourdel, sa femme  220 livres
10 mars 1726 Daniel Flament, lieutenant civil et criminel de la prévôté de Chizé Philippe Morin, de Coulon  220 livres
 26 mai 1736 Acte d’abandon par Jacques Morin, fils de Philippe, en faveur des administrateurs de l'hôpital de Chizé    
20 février 1742  Pierre-Jacques Martin Louis Croizin, de la Perrine   ?
 18 juillet 1751 Administrateurs de l'hôpital de Chizé Louis Breillat, laboureur et Marie-Charlotte Gadillon 

250 livres en 2 fois

à la Sainte-Agathe

et à la Saint-Jean de May

07 janvier 1761 Les mêmes Les mêmes  
01 juin 1771 Les mêmes Jacques Berthon 

500 livres

et 14 louis de pot de vin

21 mars 1777 État des lieux de l’aumônerie affermée à Jacques Berthon, de Nouzières   
7 octobre 1785 Chizé Jacques Ravard  700 livres
18 juin 1786 Chizé (visite affermée) à  François Ravard  

21 messidor an VIII

(10 juillet 800)

Les mêmes René Ravard   
21 mars 1821 Les mêmes  Jacques Ménard 1 400 francs
14 mai 1828 Les mêmes  Jacques Soulisse, maire 1 120 francs

 

1 - vieux terme qui désignait un personne misérable appartenant à un groupe proscrit (ici pour raison de lèpre).

 

  

 

 

2 Jean-Louis Gibaud:

Fondée probablement au Moyen Âge, grâce à des dons de riches familles, telles les Lusignan.  Par testament, Louis Laurent, seigneur de Coulon par son mariage avec Françoise Pellot, légua en 1628 aux pauvres 30 boisseaux de méture et à l’aumônerie 300 livres en argent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3 - Lire à ce propos l'étude d'ensemble de Laurent Marchand, « Les aumôneries du Poitou aux XVIe et XVIIe siècles » dans le Bulletin des anticaires de l'Ouest et des musées de Poitiers - 1999.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Sources

Archives nationales - H3214

Archives départementales des Deux-Sèvres - DDS H dépôt 5111-B1 - B2 - H supplément

Copie de 1823 certifiée - Nourry, président de la commission administrative

Crochery, notaire 3 E 10084