Les vignes de chez nous

Louis Breillat - Association généalogique et historique de Benet 


 

Les plaines calcaires qui dominent le marais dans les communes de Niort - Saint-Liguaire, Coulon et Benet ont été de tous temps des terres à vignes. 

Bien sûr, je ne vais pas parler de vignobles, tous les cultivateurs de ces diverses communes n’étaient pas vignerons, comme l’étaient ceux des communes toutes proches de la Foye-Monjault et de la Rochénard. Ce que l’on peut dire, c’est qu’il y avait des vignes et beaucoup de vignes ! 

Peu de témoignages à leur sujet...

Les anciens cadastres de ces communes – Saint-Liguaire, Coulon, Benet – nous donnent pourtant quelques indications. On relève sur ces cadastres des tènements qui sont appelés « fiefs ». Ces fiefs étaient des endroits où étaient plantées les vignes. Pourquoi ces petites vignes étaient-elles regroupées en fief ? Je ne saurais fournir une explication. 

 

Sur Niort Saint-Liguaire, il y a les fiefs de l’Ouvrie, de Belle-Vue, Galateau et sans doute d’autres. 

Sur Coulon, il y a les fiefs de Vauron, de Peigland, du Pâtissier, de Touvaireau…

Sur Benet, il y a les fiefs de Veurneuse, le fief Bourneau, le fief du Vert...

 

Je vais m’attarder sur le fief Pâtissier qui se trouve sur la commune de Coulon. Ce fief avait une superficie d’environ un hectare, sans doute un peu plus. Ce terrain se situe à l’angle de la route Coulon-Saint-Rémy et d’un chemin qui allait autrefois à la métairie de Vauron.

 

Sur le plus ancien cadastre de Coulon, ce fief était constitué de plus de dix parcelles qui étaient de petites vignes appartenant pour la plupart à des propriétaires de Magné.

Le phylloxéra, cette terrible maladie de la vigne, a balayé ce petit vignoble vers 1880. Ces vignes détruites n’intéressaient plus leurs propriétaires qui ont vendu leurs petites parcelles.

 

Vers cette époque, mon arrière grand-père avait acheté une ancienne carrière qui jouxtait ce petit fief de vignes, terrain où il avait fait construire une maison (celle que nous habitons encore). Par la suite, il acheta la totalité de ces parcelles, vignes abandonnées et en friche qu’il finit d’arracher. Le terrain nettoyé devint ce qu’il appelait un « chaumi ». L’ancien fief fut entouré d’une palisse et devint ce que nous appelions encore, dans notre jeunesse, « la chaume de devant » où pacageaient les vaches. Sur le plus récent cadastre, le lieu a conservé le nom de « fief Pâtissier ».  

 

Voyons maintenant comment se cultivaient ces anciennes vignes. Le texte suivant est tiré du livre Les Souvenirs d’un vieux paysan de Maxime Arnaud, de la Foye-Monjault : 

« La culture se faisait au "pic", instrument plat à double crochets. C’était le seul outil connu pour labourer la vigne. Un bon vigneron pouvait labourer dans sa journée six à huit ares de terre. La vigne avait trois façons : la "levure" ou premier labour, qui se pratiquait de janvier à avril ; "l’abattage" de fin mai à juin ; le "binage" de juin à aout ; la "taille" qui se faisait en février-mars.» 

Un dicton disait : « taille tôt, taille tard, rien ne vaut la taille de mars ».

Maxime Arnaud continue : « la prospérité des vignerons ne devait pas durer. En 1878, la première tache de phylloxéra fit son apparition dans la commune de la Foye. Beaucoup attribuaient cette grande tache jaune à un coup d’orage. L’année suivante, la tache s’élargit et d’autres apparurent dans les vignes voisines. Les années 1882-1883 furent médiocres. La maladie s’accentuait. 1884 fut la dernière récolte. En 1886, il n’y avait plus de vignes de rapport. Ce fut la fin du vignoble dans toute la région.»

 

Chez nous à Saint-Liguaire, Coulon et Benet, il en fut de même, les vignes disparurent, les petits terrains restèrent incultes. « les gens étaient malheureux, nous dit encore Maxime Arnaud. Ne voulant pas boire d’eau, ils firent de la boisson avec toutes sortes de choses : prunes, sorgho, maïs, betteraves, prunelles noires... L’eau aurait été plus saine, mais les vignerons en avaient horreur. » 

On chercha vainement à combattre ce terrible ennemi. Aucun moyen de lutte ne fut efficace pour permettre de l’anéantir. On trouva, longtemps après, la solution en plantant des vignes américaines ou hybrides franco-américaines, résistant aux attaques du phylloxéra, et on greffa sur ces cépages nos variétés françaises. Les anciennes régions viticoles furent les premières à replanter ces plants greffés. 

 

Vers les années 1900-1910, la production des grandes régions avait repris. Les vignes furent-elles replantées chez nous, c’est-à-dire dans la plaine qui domine Niort Saint-Liguaire, Magné, Coulon et Benet . À ma connaissance aucun document n’en apporte la certitude. 

 

Les anciens vignerons de chez nous furent-ils condamnés à boire de l’eau ou à bricoler des piquettes après la destruction de leurs vignes par le phylloxéra ? 

J’ai entendu dire qu’avant 1914, notre famille faisait venir, par la gare, du vin en fût de 110 libres (une demi-barrique) des régions de l’Aude. Je me souviens même du nom du fournisseur : Henri Azalbert. 

Pourtant, dans les années 1919-1920, après la guerre qui avait laissé chez nous, comme ailleurs, de nombreux deuils, les survivants, revenant à la ferme, eurent l’idée de replanter des vignes. Ce fut le cas chez nous. Mon père qui, de 1912 (il était de la classe 12) à 1919, avait été mobilisé, revint enfin à la maison. Durant cette sombre période notre petite exploitation, qui était de 22 hectares, avait été exploitée péniblement par les grands-parents. Le retour du fils après 7 ans d’absence donna naissance à de nombreux projets dont celui de planter une vigne. 

Il faut dire qu’à cette époque le commerce offrait des plants greffés adaptés à nos terrains calcaires. Le père Hippeau qui vendait ces plants de vigne fut choisi par mon père et surtout mon grand-père, qui le connaissait bien, comme conseiller de projets de plantation de notre futur vignoble.

 

La plantation eut lieu dès le début de 1920. Le porte-greffe était de Rupestris du lot 1202. Le Père Hippeau avait fourni :

 

- 150 pieds greffés de « Folle Blanche » 

- 150 pieds greffés de « Gaillard » 

- 150 pieds de « Grands Noirs » 

- 150 pieds de « Folle Noire » 

-  300 pieds d’ « Othello »

 

La plantation s’était faite à la barre. La vigne avait été plantée à quelques centaines de mètres de la maison. Elle était constituée par 6 rangs de 150 pieds ; les piquets et les fils de fer avaient été mis à la fin de la 3e année. 

La première vendange eut lieu à l’automne 1925. Ce fut un événement. Comme nous n’avions pas de cave, la cuve en bois (qui avait été achetée d’occasion) fut mise au fond du hangar (le balét) ; elle devait contenir les raisins rouges. Les raisins blancs issus des rangs de Folles Blanche et de Gaillard furent mis tout à côté dans un demi-muid défoncé et debout (le demi-muid est une grosse barrique de 600 litres). 

Cette première vendange n’avait pas été très conséquente. La vigne était jeune. Dès cette 1re année, après soutirage, on fit du vin de sucre, c’est-à-dire qu’on mit dans la cuve de l’eau et du sucre. On obtint ainsi une bonne piquette. 

On décida de faire brûler le marc qui avait été mis dans une barrique défoncée. Au début de l’année 1926, mon père emporta cette barrique de marc à la cale de la Coutume, dans le bourg de Coulon où opérait le distillateur Ropiquet. Cette première récolte d’eau-de-vie fut faible : avoir tiré le vin, avoir ensuite fait du vin de sucre, il ne pouvait pas rester beaucoup d’alcool dans les marcs ! 

Et ce n’est pas tout, le tonton Henri, le frère de mon grand-père, célibataire, qui vivait avec nous, aménagea un petit baricot pour faire du vinaigre. Et le vinaigre récolté était passable ! 

Le tonton Henri, grand chasseur, avait pris cette vigne à cœur. Son plus grand plaisir était d’être dans cette vigne. 

Il faisait la taille, l’ébourgeonnage, le nettoyage avec la binoche ou le « pousse-pousse », le soufrage, le traitement avec la bouillie bordelaise.

Il avait déclaré la guerre aux étourneaux, ces oiseaux qui sévissent par bandes, d’abord contre les cerises, contre les raisins ensuite. Il avait imaginé et fabriqué de savantes cartouches (comme tous les anciens chasseurs, il faisait ses cartouches), du petit plomb avec une forte dose de poudre (au risque de faire sauter le fusil) pour en tuer le plus possible avec son « 12 » à deux coups.

 

Le fusil et la cartouchière étaient toujours à portée de main, à côté du pulvérisateur et du « pousse-pousse », toujours prêt à faire feu ! 

Le tonton Henri, habitué comme tout le monde à la maison à boire une piquette très diluée, s’était pris à aimer la trenpine et le mijhét. Je vous dois des explications sur ces deux aliments : 

-       la trenpine est une sorte de soupe faite avec de l’eau très chaude, du vin, du pain, du sucre. On consomme ce breuvage l’hiver car çà réchauffe. 

-       Le mijhét se consomme l’été. C’est encore une sorte de soupe, mais faite d’eau très fraiche, de pain, de vin et de sucre, et qui rafraichit.

 

Donc, l’hiver, le tonton Henri consommait de la trenpine pour se réchauffer et sans transition, au printemps, pour se rafraîchir, il passait au mijhét… et à l’automne, sans transition encore, il repassait à la trenpine

Mais ces divins breuvages, après quelques années, donnèrent des bourdonnements dans la tête du Tonton qui consulta le docteur Forget, alors médecin à Coulon qui lui dit :  « Henri, vous avez trop de tension, c’est çà qui vous donne des douleurs dans la tête. Vous me dites que vous faites une grande consommation de mijhét et de trenpine, Henri, il faudrait ralentir cette consommation.» 

Le tonton Henri eut cette réponse : « O me fét dau bén. L’ivér o me réchaufe, pi pr la métive, o me rafraechit.» 

Le médecin lui conseilla alors de se faire des tisanes de miche-aux-chebres pour atténuer ces désagréables maux de tête. La miche-aus-chebres, ou chèvrefeuilles, était une plante facile à transformer en tisane ; elle passait pour être efficace contre la tension... Tonton Henri fit donc une cure de cette tisane, mais sans ralentir la consommation de trenpine et de mijhét. Hélas, ce qui devait arriver arriva. On retrouva un matin tonton Henri mort dans son lit.

La vigne survécut à tonton Henri. Vers 1935 ( j’avais douze ans), elle portait de belles récoltes. Les 300 pieds d’Othello étaient très réguliers par la qualité et la quantité de raisins. 

Pourtant, après 1935, les rangs de Folle Noire et de Grand Noir donnèrent des signes de fatigue. Des pieds se desséchaient et mouraient sans qu'on sache pourquoi. Mon père décida de les remplacer par un rang de « 54-55 » et un autre rang de « 7053 ». C’était Thibault, le pépiniériste de Charzais en Vendée qui avait fourni les plants. 

Dans les années 1940-1945, durant l’occupation allemande, la vigne fut un peu négligée? La bouillie bordelaise était rare, le soufre aussi, il était difficile de trouver dans le commerce, des barriques valables. Les Allemands, qui avaient mis toute notre économie au pillage, se souciaient peu de ces cultures d’appoint que constituaient nos petites vignes. 

La vigne dura jusqu’en 1985, date à laquelle les ceps commencèrent à donner des signes de fatigue. Nous avons décidé alors, mes deux fils et moi, de l’arracher, ce qui fut fait en 1990. La plupart des ceps plantés en 1920 étaient encore vigoureux 70 ans après ! 

Voilà donc, brièvement, l’histoire de notre vigne. 

Après la Guerre de 14-18, la plupart des cultivateurs de la plaine, comme nous, eurent l’idée de planter une vigne. Et même les habitants du marais, le cabanàes, achetèrent des petits champs dans la plaine pour planter une vigne. Des gens du bourg, qui n’étaient pas cultivateurs, firent de même. Les propriétaires de parcelles dans les anciens fiefs de vigne songèrent à planter leur terrain après 40 ans de friche. Ces anciens fiefs se garnirent de nouvelles vignes.

Souvent, ces nouveaux vignerons habitaient loin de leur vigne, d’où l’idée de construire des cabanes en bois ou en pierres au bout de la vigne. Ces cabanes servaient à mettre le cheval à l’abri en cas de mauvais temps ; elles servaient aussi à mettre le matériel, la charrue, la houe, le petit outillage. L’eau de pluie qui tombait sur le toit était récupérée dans de petites cuves qui se trouvaient à l’intérieur de la cabane. Elles étaient en ciment, en fer ou en bois (une ancienne grosse barrique). Cette eau servait aux différents drogajhes

Mais, usage inattendu, ces cabanes abritaient souvent des perches de traineau... Vers 1935, la pratique du traineau était courante. Le traineau étant cette chasse (nocturne) aux alouettes, à l’aide d’un filet, fixé à deux perches, porté par deux hommes. Cette chasse de tout temps prohibée était pratiquée dans la plaine depuis fort longtemps et, dans la décennie 1920-1930, cette chasse avait encore de nombreux amateurs. 

Dans ces cabanes, les amateurs d’alouettes déposaient leurs filets et leurs perches. Quand ils montaient dans la plaine, à la tombée de la nuit, ils n’avaient rien de compromettant, ni filets, ni perches sur leur dos.

À l’aube du troisième millénaire, il n’y a plus beaucoup de vignes dans la plaine. Il y a encore quelques amateurs qui ont planté des plants nobles. Leurs vignes sont bien tenues. Ils connaissent bien la vinification et leurs produits sont tout à fait présentables. 

La plupart des familles préfèrent se ravitailler en vin dans les grandes surfaces ou dans des caves spécialisées. 

Si les cabanes sont restées dans la plaine, très peu servent encore. La plupart sont abandonnées ou en ruines. Ces cabanes en planches ou en pierre nous rappellent que nos grands-parents ont été un peu vigneron.