Recettes poitevines de Louis Perceau publiées dans  L’Art d’être gourmand  par Gaston Derys 

Jean-Louis Gibaud


 

Louis Perceau est poitevin et il adore sa province, et il adore l’ail poitevin, qui n’est pas du tout le même que celui qu’on récolte au-dessus de la Loire.

 

L’ail poitevin, comme l’ail de Provence, s’avère beaucoup moins virulent, beaucoup plus policé. Louis Perceau a écrit un véritable poème à cet ail si fin, si généreux, si pénétrant, à la gloire de cet ail si malicieux, de cet ail enfin qui explique, par ses vertus, les goûts littéraires de son apologiste, commentateur du Cabinet secret  de Parnasse,  des contes de La Fontaine qui avec Fernand Fleuret et Guillaume Apollinaire furent l’Enfer de la Bibliothèque nationale, auteur de maintes publications espiègles et gaillardes comme les œuvres satyriques du sieur de Sigone avec Fleuret, allègrement parfumées aux essences spiritualisées de l’ail poitevin.

 

À la gloire de l’ail poitevin

Aimez-vous l’ail ? Moi je l’adore mais je veux protester contre l’annexion à la Provence de ce savoureux légume. C’est qu’en effet on mange vraisemblablement plus d’ail dans mon Poitou que dans toute la région de Marseille. Et sans vouloir médire de l’aïoli, c’est dans le Marais poitevin qu’on a découvert les deux plus savoureuses façons d’accommoder l’ail : cuit sous la cendre et le chevreau à l’ail vert. 

 

Ail cuit sous la cendre

Prenez de belles têtes d’ail, environ deux ou trois par personne, c’est-à-dire une trentaine de gousses, suivant la grosseur.

Mettez-les à cuire sous la cendre et la braise jusqu’à ce que les gousses supérieures soient superficiellement carbonisées et les gousses inférieures bien ramollies.

Servez très chaud et mangez avec du pain et du beurre, de ce beurre du Marais poitevin qui est l’un des meilleurs de France.

Prenez pour chaque bouchée une gousse d’ail, appuyez sur la pulpe et l’intérieur se répandra sur le pain comme une crème parfumée. Les gousses un peu brûlées ont un goût différent, mais également délicieux.

 

Chevreau à l'ail vert

Prenez pour un râble de chevreau un bon kilo d’ail vert, d’ail frais en branches (ce plat se prépare uniquement en mai à l’époque des chevreaux de lait et de l’ail nouveau.)

Découpez l’ail en morceaux de deux ou trois centimètres de longueur.

Faites un lit d’ail et déposez le chevreau sur cette couche, dans un plat long.

Mettez un peu d’eau au fond avec un filet de bon vinaigre de vin.

Garnissez le chevreau avec des morceaux de bon beurre et de graisse de porc, clous de girofle, paprika, cannelle, le tout en poudre.

Faites cuire au four et servez chaud.

Encore un plat qui mériterait de figurer au livre d’or de la cuisine française !

 

Le chasselas à l'ail  

Voici pour ne pas quitter l’ail une autre recette, bordelaise celle-ci, que les Provençaux ignorent sans doute ; ils ont bien tort ! 

Savez-vous comment au moment des vendanges on doit manger le chasselas blanc, cette liqueur de soleil en capsule ? 

Prenez une croûte de pain de ménage, bien épaisse et bien ferme.

Frottez-la copieusement d’ail, saupoudrez- la de gros sel et mangez-la avec votre chasselas.

Si l’idée peut paraitre étrange, je vous assure qu’on est agréablement surpris en constatant que l’ail et le chasselas se marient admirablement.

 

Haricots secs ou mogettes à la poitevine  

C’est uniquement dans la région du Poitou et des Charentes que l’on sait faire cuire les haricots secs. Partout ailleurs – la région du cassoulet mise à part – on vous sert des balles de fusil soigneusement égouttées et empâtées de farine. Voici comment se préparent les haricots dans le Marais poitevin.

D’abord,  il faut un feu de bois dans la cheminée.

Prenez un pot en terre et mettez vos haricots blancs à cuire dans beaucoup d’eau.

Après qu’ils ont bouilli une première fois, jetez l’eau et remettez-en d’autre, bien chaude (ne jamais ajouter d’eau froide).

Salez, poivrez et laissez cuire à petit feu durant trois ou quatre heures. Ajoutez un bouquet de thym et de persil, et vers le milieu de la cuisson sept ou huit belles gousses d’ail entières.

Ayez soin d’avoir un second pot devant le feu pour alimenter d’eau chaude les haricots qui doivent toujours baigner largement et ne jamais rester à sec.

Une demi-heure avant de servir, mettez dans le pot un bon quart de beurre, faites bouillir et servez.

Les haricots doivent nager dans le bouillon.

On les mange avec de la salade – c’est important – ou avec des piments verts forts que l’on conserve en Poitou comme les cornichons.

Ajoutons que les haricots ainsi préparés ne sont nullement indigestes.

On doit surtout veiller à éviter une cuisson trop rapide, remuer lentement de temps à autre pour qu’ils ne brûlent pas et ne pas oublier le poivre sur la table, pour que chaque convive puisse assaisonner à son gré.

Il n’est pas mauvais de mettre les haricots secs à tremper la veille, surtout quand on n’est pas très sûr qu’ils soient de la dernière récolte.

 

 


Sources

Le Mémorial des Deux-Sèvres - 6 avril 1929