La vie d’un tailleur de pierres durant le XIX siècle

Jean-Louis Gibaud 


 

Au lieudit la Chaume Élie, communément appelé La Clémente à Coulon

À la fin de la Révolution, au début du XIXe siècle, de nombreux artisans en recherche de travail sont venus des départements voisins et même de plus loin : scieurs de long, charpentiers, maçons, tailleurs de pierres, etc.

Clément Meniou, ou Mignoux – plus connu sous son prénom Clément – maçon tailleur de pierre est de ceux-là. Il est né à Darnac en Haute-Vienne, le 4 juin 1781 de Jean Miniou et de Marguerite Duais. En 1808 il est nommé expert lors d’un état des lieux des bâtiments de la métairie de l’aumônerie à Coulon, appartenant à l’hospice de Chizé.

Le 8 octobre 1811, par-devant Me Rodier, notaire à Coulon, il achète une maison rue de la Motte-Vérineau, comprenant deux chambres basses et un grenier au-dessus, derrière l’allée commune, « et qu’il dépend en outre de cette maison le droit d’arrivage avec un bateau ordinaire au port le plus voisin. »

 

Marché entre Clément Meniou et Louis Bourolleau

Le 1er avril 1811, par-devant maitre Alexis Rodier, assisté des sieurs Sébastien Ancelin, garde-champêtre, et Pierre Roy, maréchal, un devis sera proposé concernant la construction d’une maison, entre Louis Bourolleau, cultivateur demeurant à Toutifaut sur l’isle de Magné et Clément Meniou, maçon, demeurant au bourg de Coulon.

« Ledit Clément Meniou s’oblige s’engage à construire et édifier de fond en comble, bien et convenablement […] et à ce qui concerne son métier seulement, une maison […] dans l’emplacement où existe déjà une ancienne maison […] dans ce bourg de Coulon et au lieu appelé le grand port de l’église. »

« La maison dont il s’agit sera commencée par ledit Clément Meniou dans le courant de ce mois […]. Elle aura la même hauteur qu’actuellement l’ancienne maison. Tous les matériaux seront fournis et conduits à pied d’œuvre par ledit sieur Bourolleau, et cependant, s’il venait à manquer de pierres pour finir cette bâtisse, ledit Clément Meniou sera tenu d’en tirer et extraire à ses frais, de la carrière qui lui sera indiquée par ledit Bourolleau. 

Ladite maison consiste en deux chambres basses, corridor entre les deux, deux chambres hautes, aussi corridor entre deux et grenier par-dessus […] Un escalier de pierre pour monter auxdites chambres […] Le maçon entrepreneur susnommé sera tenu de la taille de toutes les pierres, tant pour les cheminées que pour les portes et fenêtres […]

Ce présent devis ou marché est fait pour et moyennant les prix et sommes de onze cents francs (1 100 F) que ledit sieur Bourolleau s’oblige et s’engage à peine de tous dépens, dommages et intérêts, compter et payer en espèces sonnantes et ayant cours […]

En l’étude présents les susdits témoins, après-midi le premier avril mil-huit-cent-onze, lu auxdites parties qui ont signé […] excepté ledit Clément Meniou, qui a déclaré ne savoir écrire ni signer. »

Louis Bourolleau, J. Goimine, P. Roy, Ancelin, Rodier

 

Cette maison est aujourd’hui le n° 13 rue de l’ Église

 

Le 2 octobre 1825, un acte établi par maitre Auchier, notaire à Coulon, mentionne l’échange d’une langue de terre entre Clément Meniou, maçon à Coulon, et Pierre Bobin, laboureur au Mazureau. Celle-ci, contigüe à la propriété du sieur Meniou, est destinée à faire un chemin pour l’exploitation de la carrière dudit Meniou. 

C’est probablement après 1825 que Clément construit une maison-cabane au lieudit la Chaume-Élie. Il prend une servante, Louise Doret, native de Saint-Liguaire et âgée de 21 ans.

Le 10 janvier 1828, Clément, 47 ans, reconnait être le père d’un enfant naturel prénommé François, lequel décède le 16 janvier 1828, puis sept enfants voient le jour, déclarés enfants naturels.

Le 3 juin 1847, c’est le grand jour. Clément, tailleur de pierres, se marie avec Louise Doret, servante, née à Saint-Liguaire le 4 mars 1807 […] Lesdits époux ont déclaré qu’il est né d’eux sept enfants inscrits à Coulon, à savoir : Clément, Louise, Julie, Pierre, Louise-Angélique, Madeleine, Marie-Louise, lesquels ils reconnaissent comme légitimes.

Témoins : Pierre Faribaud, 53 ans, ami, Pierre Raisnier, 43 ans, ami, Pierre Millet, 30 ans, cultivateur, François Morisson, 38 ans, instituteur, tous de Coulon.

Le 16 janvier 1852, naissance au lieudit la Cabane à Clément de Françoise-Anaïs, fille de Clément, 70 ans, carrier, et de Louise Doret, 45 ans, déclarée par Louise-Rose Ravard, sage-femme, 57 ans, épouse de Pierre Jubien.

Le 13 février 1852, décès de Clément Menioux. Françoise-Anaïs décède le 25 avril.

En 1837, Clément, l’aîné des enfants, sera reçu gratuitement à l’école communale, ainsi que 29 élèves, suite à une décision du conseil municipal de Coulon.

« En 1838, le conseil municipal de Coulon décide que pour l’extraction des pierres, le mètre cube serait payé trente-sept centimes et demi. Pour les étendre et les casser, le mètre cube serait également payé trente-sept centimes et demi. Et pour le transport, le conseil l’a fixé ainsi qu’il suit : le mètre cube à prendre chez Clément rendu à Prépelot un franc soixante-quinze centimes, rendu au Champ-Renaud un franc douze, rendu à Touvera jusqu’au pas de Malécot quatre-vingt-sept centimes… »

Clément fournira les pierres pour la reconstruction des maisons de bord de Sèvre, et les pierres taillées pour les ouvertures sont chargées au port de la Coutume. En échange certains cabanàes 1 donnent du bois de chauffage.

Le travail ne manque pas avec les constructions dans le bourg, les pierres tombales en batière 2, particulières à notre région.

Après le décès de son père, Clément fils, 22 ans, tailleur de pierres, continue le travail.

Quant à Louise, privée de son compagnon, elle continue sa vie avec ses enfants. L’été, après les moissons, elle va glaner, puis l’hiver c’est la chasse à la « nicouarde » dans les palisses 3, pour attraper des oiseaux. Dans les murets et les murs on récupère des escargots qui se logent dans les creux. Des chasseurs de passage donnent parfois un lapin ou une grole 4 pour faire une bonne soupe. Louise va buchallàe 5 dans les palisses.

La vie est dure dans la cabane. L’eau de pluie récupérée dans une citerne est employée pour la maison, aussi Louise, que l’on va appeler « la Clémente », descend avec une brouette jusqu’à la métairie de Touvéràu 6 pour laver et rincer son linge. Des gens du bourg lui donnent du travail, des chàuces 7 à repriser et d’autres travaux de couture. 

La Clémente prend de l’âge. Elle sera admise à l’hospice de Chizé 8 où elle décède le 22 octobre 1890.

Cette mère courage laissera son nom à ce lieu situé au-dessus de la ligne de chemin de fer. Aujourd’hui, la carrière et la cabane ont été détruites par le remembrement, seuls les chasseurs et les cultivateurs évoquent encore le nom de « la Clémente ». 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 - Fermiers d'une

« cabane  », ferme isolée.

 

2 - À deux versants, formant un pignon au-dessus du corps.

 

3 - Haies vives.

 

4 - Corvidé.

 

5 - Ramasser du bois mort.

 

6 - Touvaireau. 

 

7 - Bas ou chaussettes de laine.

 

8 - L'hôpital de Chizé fut créé en 1695 sur l'ordre de Louis XIV en réunissant les revenus et les biens des aumôneries d'Availles, Aulnay, Saint-Jacques de Coulon… Coulon avait quatre lits à sa disposition pour ses indigents et personnes sans revenus.

 



Sources

- Merci à Madeleine Tardy-Lucas pour ces renseignements.

- Archives départementales des Deux-Sèvres

Minutes Rodier et Auchier

Registres du conseil municipal de Coulon :

1837 école communale gratuite

1838 tarif des pierres provenant de chez Clément

État civil de Coulon

Louise-Rose Ravard, dite « Trémoussette », épouse de Pierre Jubien, dit « Villier », fille de François Ravard, dit « Trémousset », et de Marie Guillochon, sage-femme.


 

 

 

 

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