Histoires de glace en pays maraichin

La Nouvelle République 

8 février 2012

Une vie au ralenti. À moins six ou dix degrés Celcius, le marais grelotte et se fige à tel point que conches et rigoles sont devenues l'empire de la glace. Contraste étonnant entre le marais actuel et celui d'après-guerre. Une vie rurale intense et une population agricole qui n'a pas encore émigré vers les cieux urbains. Si le froid intense éloigne les hommes du travail extérieur, la vie reprend ses aises dans des milieux moins exposés. Les écuries sont des endroits favorisés. Entre voisins la clémence des lieux rapproche les hommes.

Moins 15 °C
En 1933, date de construction du pont d'Irleau, Henri largeau, laitier en bateau, part livrer sa tournée de lait à la beurrerie d'Irleau. Arrivé au bief Barot, la glace l'empêche de progresser. Il revient chez lui, sort les bidons du bateau et les dépose dans une charette. La seule possibilité qui lui reste afin de ne pas perdre les 700 litres de lait du jour est de franchir le bief d'Ambreuil. Il dépose sur la conche gelée des fagots et du foin par dessus. Le cheval s'élance et passe de l'autre côté ; la tournée est sauvée. Nous sommes en 1949, il gelait à pierre fendre. Dans sa petite ferme de la Garette, Paul Bertrand est un jeune homme de 20 ans. Il est du genre intrépide. Son père Joseph vient de lui dire : « Un de ces jours, tu iras voir le cousin Edmond aux Cabanes de Balanger, à Coulon, lui demander le prix de la toise de peupliers. » N'écoutant que lui-même, Paul traverse le marais en courant, passe les fossés, traverse la rigole du Chail et franchit la Sèvre à pied sur la glace. Cette journée-là, il faisait -15 °C. Au pont d'Irleau, sur la rive gauche de la Sèvre, la ferme du père Migaud. Nous sommes à l'époque des laitiers en bateaux. Prises par les glaces, les embarcations restent à la cale du port. Le moyen de livraison est de faire franchir les bidons de lait par des cordages, les faire glisser sur la glace en les tirant d'une rive à l'autre. En 1954, Gilbert Ravard habite « la maison aux volets bleus » au lieudit la Conche Bergère. Impossible de franchir la Sèvre. Pour aller embaucher à la scierie du Vanneau, il lui faudra une demi-heure afin de casser l'épaisseur de glace à l'aide d'une masse à fendre le bois. Ces anecdotes totalement insolites recueillies auprès des anciens montrent bien que le Marais est une région qui ne ressemble à aucune autre.

 

Jean-Claude Coursaud
Correspondant de La Nouvelle République