La révocation et les dragonnades à Benet et les environs

Texte de  Louis Breillat, membre de l’Association généalogique et historique de Benet  - Bulletin 1994


 

Louis XIV, jusqu’aux dernières années de son règne, se considéra comme le représentant de Dieu sur la terre. Il disait « L’État c’est moi » ou encore « J’ai été fait pour servir d’exemple aux autres et non pour leur ressembler ». Et tout ploya devant lui durant les 54 ans de son règne.

Dans l’ouvrage La France de ses origines à 1789, Le Guillou, dans le chapitre « Louis XIV » dit ceci : « Louis XIV prétendit exercer sur les consciences le même despotisme que sur le gouvernement. L’unité religieuse lui paraissait inséparable de l’unité politique et, dans tout dissident, il n’était pas loin de voir un ennemi ». De là sa politique à l’égard du protestantisme. La révocation de l’édit de Nantes ne fut ni soudaine ni inattendue. Ce fut le dernier terme d’une série de persécutions qui avaient commencé avec l’avènement du roi. L’idée en avait été inspirée, soutenue, reprise et développée avec un zèle infatigable par toutes les assemblées du clergé de France réunies tous les quatre ans. On reprit d’abord aux protestants toutes les libertés civiles qui leur avaient été accordées par Henri IV. Puis on essaya la conversion. Une caisse dirigée par l’écrivain Pélisson, protestant converti, travailla à l’achat des consciences, sans beaucoup de succès. C’est alors que Louvois « imagina d’y mêler du militaire » comme dit Mme de Sévigné et transforma les dragons en missionnaires en 1681. Les dragonnades commencèrent dans le Poitou. Le système fut appliqué ensuite dans le Limousin, le Béarn et surtout dans le Languedoc.

Les soldats reçurent la permission de vivre « licencieusement » pour précipiter les conversions. Ils tuaient rarement, mais ils vivaient dans les familles « des religionnaires » comme en pays conquis outrageant les femmes et maltraitant tout le monde.

Le roi se persuada – ou plutôt fut persuadé par Mme de Maintenon que St-Simon appelait « la vieille sultane » – que de pareils moyens avaient fait merveille et qu’il ne restait plus de protestant. Voilà pourquoi il révoqua l’édit de Nantes de 1598 par un nouvel édit rendu à Fontainebleau le 22 octobre 1685 : interdiction absolue du culte, sauf en Alsace, expulsion des ministres protestants, destruction des temples et des écoles, suppression de l’état civil…

Pourtant les protestants avaient été défendus par de grands personnages. Mazarin d’abord qui disait d’eux « Le petit troupeau broute une mauvaise herbe, mais ne s’écarte pas ». Colbert ensuite, pénétré des services qu’ils rendaient à l’industrie et au commerce, ne cessa de les protéger. Mais Colbert mourut en 1683 laissant toute l’influence à Louvois. Enfin Vauban, cette défense des protestants lui valut la disgrâce de Louis XIV.

À la révocation en 1685, il y avait environ un million de protestants contre vingt millions de catholiques. Beaucoup pensèrent et essayèrent d’émigrer. Des édits s’y opposèrent sous peine de galères. Pourtant au moins 250 000 protestants – selon les calculs les plus modérés – quittèrent la France pour la Hollande, l’Angleterre, et surtout l’Allemagne, où des colonies agricoles furent établies dans le Brandebourg en particulier. Les émigrés fournirent un grand nombre de médecins, de légistes, de pasteurs, de savants, comme Denis Papin, d’érudits, comme Anallon et Basnage, d’hommes de guerre, comme Schomberg. Les Allemands (toujours d’après Guillon) ont eu le bon goût de ne pas contester ce qu’ils doivent à l’émigration française. Frédéric II, roi de Prusse, disait : « Le meilleur service que pourrait nous rendre la France, c’est de faire une nouvelle révocation de l’édit de Nantes ».

Tous les auteurs de manuels d’histoire générale sont d’accord pour dire que la révocation a été une faute énorme, et probablement l’une des causes de la Révolution qui cent ans après a balayé la monarchie et mis à mal l’influence de l’Église.

Voyons maintenant l’histoire de la révocation à l’échelle locale. Les plus connus des écrivains qui se sont intéressé à cette question sont les suivants :

- Le pasteur Auguste-François Lièvre, qui a publié entre 1856 et 1859 Histoire des protestants et des églises réformées du Poitou - 3 volumes.

- Pierre Dez, petit-fils d'Auguste-François Lièvre, qui a publié en 1936 Histoire des protestants du Poitou.

- Le pasteur Jean Rivière qui a publié La Vie des protestants après la révocation en Poitou.

- Roger Durand qui a publié Saint-Gelais au péril des dragons.

Des documents d’époque aident aussi à comprendre cette période. Ce sont d’abord les registres de l’état civil, tenus à cette époque par les curés responsables des paroisses. À Coulon et Benet ces registres sont bien conservés. Ils sont en bon état et ils ont été tenus avec beaucoup de minutie. Sur ces registres sont consignées toutes les abjurations. Je vous donne un exemple. Dans le registre de 1676 à 1694 à Coulon, à la page 8, à la date du 26 mai 1681, nous relevons les deux premières abjurations, celle de Jacques Faity et de Suzanne Jubieu.

Voilà le texte de l’abjuration :

« Nous Jacques Faity et Suzanne Jubieu, humbles et repentants, nous avons gravement péché, adhérant aux hérésies et croyances notamment celles de Calvin. Et maintenant, par la grâce de Dieu, remis au bon chemin, nous détestons et anathématisons les dites hérésies. Nous adorons la très sainte Eucharistie, nous reconnaissons notre saint père le pape comme souverain pontife de l’Église universelle successeur de Pierre. Nous promettons de garder et suivre inviolablement la foi en l’Église catholique apostolique et romaine. Nous ferons devant Dieu, sur les saints évangiles, notre profession de foi devant tous les témoins soussignés en l’église de Coulon. »

Blancheteau Louis, curé de Coulon

Guerry Françoise, témoin

Poivreau Nicolas, témoin

Bonneau Élizabeth, témoin

 

Un autre document d’époque, c’est le « rôle » des nouveaux convertis. C’est une liste par paroisse des nouveaux convertis. La liste concernant le diocèse de Poitiers contient près de trente mille noms. Pour ce qui est de la paroisse de Benet le chiffre des abjurations est de 1315, à Coulon il est de 158. Ce chiffre de 1315 abjurations à Benet est le chiffre le plus important de tout le Poitou. C’est la preuve que Benet avait une forte population protestante, probablement bien au-delà de 50 %. Ces chiffres sont-ils exacts ? Sans doute pas. Pierre Dez dans son Histoire des protestants du Poitou écrit : « On a inscrit sur les listes des gens qui n’avaient pas abjuré. Tout huguenot trainé de force à la messe par les dragons était inscrit d’office sur la liste. »

Mais ces listes sans doute trafiquées, inexactes, étaient transmises en haut lieu, présentées au roi lui-même, qui s’extasiait sur les résultats des méthodes musclées des dragons. C’était aussi une façon de faire sa cour que de présenter les listes d’abjuration les plus longues !

Pour ce qui est de Coulon et Benet, il parait y avoir une sorte d’interférence entre les deux paroisses. Les abjurations mentionnées à Coulon et de protestants coulonnais semblent s’être faites à Benet. Le curé Blancheteau de Coulon mentionne la présence de soldats, preuve qu’un détachement de dragons a séjourné à Coulon et Benet en 1681. D’après Dez, « La renommée de férocité des dragons était si bien établie que l’annonce de leur arrivée suffisait parfois pour faire changer de religion un village entier. La seule ressource des protestants était de s’enfuir, mais cela même leur était interdit. »

Des familles entières abjuraient. Quelques exemples à Coulon :

  • Louis Boutet, laboureur et sa femme Louise.

  • Jean Rousseau, sa femme et leur fils de 8 ans.

  • André Cramois, laboureur, Louise Soulisse sa femme, son fils Jacques et sa femme Suzanne, Marie, Louise, Suzanne et Jacques leurs enfants âgés de 11, 9, 6 et 2 ans…

Pourtant une minorité de protestants tenta de résister sur place. Le mot résistant n’était pas employé à cette époque, on préférait celui « d’opiniâtre ». Mais au fur et à mesure que leur situation s’aggravait, ces gens là pensèrent et tentèrent de fuir à l’étranger, par La Rochelle ou le port d’Olonne. Mais cette fuite présentait d’immenses dangers. Les routes étaient surveillées et ceux qui étaient pris risquaient la potence ou les galères. Certains réussirent dans cette entreprise et les récentes recherches du pasteur Jean Rivière nous en apportent la preuve, et nous verrons plus loin ce qu’il advint de ces protestants de chez nous qui ont réussi à gagner l’Angleterre, les Pays-Bas ou l’Allemagne…

Mais d’autres de ces protestants de Coulon, de Benet et des environs avaient tout près de chez eux une cache sûre où les dragons ne s’aventuraient pas. C’étaient les roselières du marais. Il existe des indices qui font croire que le marais, à cette époque inextricable, couvert de roseaux, a servi de refuge à des protestants traqués et poursuivis. Jean Rivière, dans son livre La Vie des protestants du Poitou après la révocation écrit qu’entre 1685 et 1700 il y a eu autour de Benet de nombreuses assemblées illicites rassemblant la nuit les protestants de toute la région. Il y eu de ces assemblées à Aziré, Lesson, la Giletterie et la Garenne de Manté sur la paroisse de Coulon. Et dans une lettre récente adressée à notre association, il dit « Le marais mouillé n’a pas pu jadis ne pas servir de refuge aux protestants persécutés dans les plaines de Benet ».

Il est permis de penser que ces réformés, cachés dans les roselières, attendaient la fin des persécutions pour reparaitre dans leur localité et reprendre leurs activités. Les temps meilleurs se sont bien fait attendre. Il a fallu la Révolution pour rétablir la liberté des cultes, et la Révolution ne vint qu’un siècle après la révocation. Un siècle cela représente trois ou quatre générations. Durant cette longue période, plus de prédicants, plus d’éducation religieuse, sans doute plus de Bibles, ni de psautiers (recueil de cantiques).

Les huttes ou les cabanes à travers les roselières ne devaient pas être des bibliothèques bien sûres avec l’humidité et les gouttières qu’il devait y avoir en permanence durant les mauvaises saisons.

Et puis enfin, la foi du petit-fils n’est pas obligatoirement celle du grand-père. Que reste-t-il de ces réformes du marais ? Un vague anticléricalisme que les intéressés eux-mêmes sont bien incapables d’expliquer (les familles Soulisse et Brelay sont les types de ces vieilles familles).

Ces assemblées illicites ont eu leurs martyres. Des prédicants, des lecteurs de Bible furent arrêtés. Jean Martin qui avait prêché à Benet y fut pendu le 1er juillet 1697 et Jean Nouzille qui avait fait la lecture de la Bible fut condamné aux galères perpétuelles.

Voyons maintenant le cas des protestants de chez nous qui ont réussi à quitter la France.

Au cours de l’année 1988, j’avais écrit au pasteur Rivière pour lui demander s’il n’était pas à même de donner les noms des protestants de Benet qui avaient réussi à fuir à l’étranger.

Dans une première réponse, il dit ceci :

« La première dragonnade (1681-1682) après laquelle le « role » des nouveaux convertis a été publié, en indique 158 à Coulon, 41 à Sainte-Christine, 22 à Saint-Sigismond et 1315 à Benet (sans doute avec Aziré et Lesson).

Pour l’ensemble du Poitou, j’ai pu identifier au cours des ans près de 19 000 départs réussis, issus de 470 paroisses, et je voyais ce nombre destiné à s’accroitre sans cesse, tant qu’il m’a été possible de communiquer les registres des Églises d’accueil en Hollande, Suisse, Allemagne et surtout Angleterre et Irlande, Amérique, etc.

Je n’ai rien pour Coulon, mais on y était alors rattaché aux Églises réformées de Benet et de Niort, et c’est sous ces noms qu’on s’inscrivait au refuge. Et là je vois 52 noms pour Benet (plus 7 échecs) et 613 noms pour Niort (plus 149 échecs). J’ajoute qu’on trouve 3 noms à Aziré, 1 à Bessines, 2 à Fontenay, près de 150 à Mauzé et ses annexes, près de 300 à Fontenay-le-Comte… ».

Et encore cette réponse qui a déterminé notre lettre au maire de Norwich :

« Le refuge principal des protestants de Niort et de Benet (unis par maints mariages) fut incontestablement Londres. Beaucoup y restèrent et y firent souche, mais c’était une plaque tournante, et on les retrouve parfois à Dublin, voire en Amérique, mais avec une autre destination plus proche dont il est frappant de constater que dès 1681 (dragonnades) et années suivantes, notamment de Benet, ils allèrent s’établir en groupes sur la côte est (Worfolk), notamment à Norwich et Ipswich en séjour provisoire ou durable.

Bien sûr, dans tous ces lieux de refuge il subsiste aujourd’hui des organisations qui conservent pieusement le souvenir de cette aventure et qui, bien qu’anglicisés, n’oublient pas leur origine française. Je viens de faire pour vous en hâte la liste ci-jointe de protestants de Benet dont on a retrouvé la trace « hors du royaume. Elle pourra peut-être vous indiquer des pistes de recherches à vous qui connaissez mieux que moi ces noms qui existent ou ont existé à Benet. »