Le climat "Poste restante"

Daniel Bourdu - Diplômé de l’École des hautes études en sciences sociales de Toulouse Le Mirail


Le début du 3e millénaire est marqué par une large interrogation sur le climat. Tempêtes, accidents climatiques sont, pour beaucoup, les révélateurs de telle ou telle interrogation personnelle ou collective.

Rappelons d’abord quelques faits incontestables pour évoquer un document inédit envoyé, il y a un peu plus de 200 ans, au seigneur de Coulon.

Le climat a toujours varié depuis l’origine de la planète. D’abord parfaitement invivable, l’atmosphère terrestre s’est peu à peu apaisée pour, avec les océans, l’oxygène, le carbone et les continents, donner les éléments nécessaires à la vie. Ces cinq derniers millions d’années ont vu plusieurs fois revenir les glaces ou les temps chauds. Il y a plus de 15 000 ans le froid était là et la Manche comme la baie de l’Aiguillon n’existaient pas.

Un climat de plus en plus froid

Plus près de nous, les historiens, avec Emmanuel Le Roy Ladurie, ont démontré que le climat s’était fortement refroidi à la fin du XVIIe siècle au point de compromettre certaines récoltes de céréales et certaines vendanges. Les glaciers avaient alors avancé dans toutes les vallées des hautes montagnes et la disette avait frappé nos régions. Les préhistoriens, avec Roger Joussaume et Lionel Visset, nous rappellent aussi qu’il y a 7000 ans, alors que l’ile de Ré n’existait pas encore, le débit des rivières était plus fort, d’autant que la mer était plus basse et la pente plus nette 1.

La découverte d’ossements sous la rampe d’accès actuelle des locaux administratifs du Parc interrégional du Marais poitevin a permis une datation extrêmement intéressante au carbone 14. Ces fragments de squelette des années 700 laissent supposer qu’une population déjà importante s’était installée près des marais d’eau douce, après le retrait –ou le recul – des eaux marines de l’époque mérovingienne 2. Ce phénomène est attesté par les paléoenvironnementologues. De nouvelles ressources, au VIIIe siècle, nourrissent la population de la jeune paroisse de Coulon alors que le règne de Charlemagne s’annonce. Le renouveau politique de l’Aquitaine et de l’Empire d’Occident s’accompagne de nouvelles mises en valeur agricole en lisière forestière et sur le littoral en Poitou et en Saintonge Plus de richesse environnementale donne aussi plus de pouvoir. Le relevé systématique des dates de vendanges permettrait, sur notre bordure de marais, comme l’avait fait l’équipe d’Emmanuel Le Roy Ladurie plus globalement, de mesurer pendant nos derniers siècles l’évolution du climat localement 3. C’est un long travail qu’il faudrait croiser avec d’autres renseignements sur les récoltes agricoles. Les indications que fournissent parfois les registres paroissiaux dans nos communes, ou les plaintes des habitants lors du paiement des impôts au roi, apportent d’autres éléments météorologiques 4.

Des inondations lourdes de conséquences

Le hasard parfois nous laisse découvrir d’autres traces. La lettre non datée du curé Garnier au seigneur de Coulon vers 1780, nous raconte, en direct, un moment de notre météorologie locale, lors d’un début d’été très pluvieux.

« Nos marais sont sous l’eau et voici nos fourrages aventurés. Nous coupons à moitié perte, et qui sait quel tort cela fera pour nos regains. J’avais fait un marché d’or dans le louage d’un marais et, par accident, le marché est un marché de limon, de pourriture. Tels sont les hasards du pays. Je ne suis pas le plus malheureux mais assez pour sentir ce qui tourmente les autres. » 5.

Ces inondations sont attestées plusieurs fois dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Avec la rigueur de l’hiver 1788-1789, elles ont entretenu la misère et préparé la Révolution française. Le Courrier de Coulon précise d’ailleurs qu’en plus de la perte des fourrages (le pétrole de l’époque), l’ail et les échalotes sont échaudés, que les melons « languissent » et que les choux sont « dévorés par les chenilles ».

L’homme, un cueilleur de fruits

Ce témoignage impromptu, en poste restante pour la mémoire collective, nous apprend à relativiser nos émotions météorologiques.

Comme le paysage qu’il est bien difficile d’apprécier objectivement, le « temps qu’il fait » se décrit avec toutes les nuances de ses intérêts et de ses peines. Un seigneur et un propriétaire du XVIIIe siècle abandonne les récoltes de ses terres aux faveurs du soleil et des eaux et somme toute au destin. À ses métayers et serviteurs de tirer le meilleur parti de toutes leurs contraintes. L’homme n’était alors qu’un cueilleur des fruits du climat. Aujourd’hui, avec les conséquences de la révolution industrielle et de sa production massive de CO2 et de bien d’autres gaz, liquides et solides, l’homme est devenu un acteur du climat à part entière. C’est pourquoi, paradoxalement, le travail des équipes de chercheurs sur la mémoire de notre environnement est plus que jamais d’actualité. Encore faut-il ouvrir et lire les bons courriers ! 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 – Lire à ce propos Paysans du Golfe. Le néolithique dans le Marais Poitevin publié en 1998 avec l’aide du Parc interrégional du Marais poitevin.

 

2- Datation au carbone 14 par le laboratoire de l’université de Lyon I entre 700 et 760, faite à la demande de la commune de Coulon.

  

3- Emmanuel Le Roy Ladurie a publié de nombreux articles et ouvrages touchant à ce sujet. Voir l’Histoire de la France rurale publiée au Seuil.

 

4- l’état-civil n’existe qu’avec la création des communes en 1790. Le curé qui reçoit des taxes et impôts divers, en plus de ses propres revenus, a un rôle considérable : il enregistre les baptêmes, les mariages et les sépultures, joue un rôle d’aide sociale, de médiateur et même d’enseignant.

 

5- l’orthographe du document et la ponctuation ont été légèrement actualisées. Fonds Godet Esup 3 Vie économique Archives départementales des Deux-Sèvres. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Les grandes pluies de 1859

Extrait de La Revue de l'Ouest - 16 juin 1859


Les grandes pluies qui nous inondent depuis plusieurs semaines causent des pertes énormes dans le marais de la Sèvre. Toutes les prairies depuis Coulon et bessines sont couvertes d'uneeau limoneuse qui séjourne sur l'herbe et la gâte complètement. Les haricots, les ray-grass sont abattus par les courants d'eau et ne donneront cette année, que de très médiocres produits.

Tout d'abord, les malheureux cultivateurs ont voulu lutter contre l'inondation, ils ont cherché à préserver leurs récoltes à l'aide de levées construites à la hâte et en formant des chaines pour l'épuisement des eaux qui envahissent leurs champs, mais ils ont été forcés de renoncer à ces travaux qui devenaient inutiles devant les torrents qui grossissaient constamment.

Le marais restera encore longtemps couvert, l'eau ne s'écoule que lentement vers la mer. D'ailleurs, elle ne laissera à découvert qu'une herbe couverte de vase.

  

 

 

 

 

 

 


Été 1888 - Pêche et récoltes des marais

Extrait de La Revue de l'Ouest - 22 septembre 1888


On sait qu'il n'y a pour ainsi dire pas eu d'été en 1888.

Les grandes chaleurs ne se sont fait sentir qu'au 15 septembre au lieu de se produire en juillet  ou en aout. Il  en résulte que la pêche, cette grande distraction des Coulonnais et des Niortais a été très peu fructueuse cette année. Et pourtant le poisson ne manquait pas dans la Sèvre et les rigoles du marais.

Mais les herbes aquatiques n'ayant pas pourri, les poissons ont pu s'en nourrir assez facilement et dédaigner par la suite l'appât des pêcheurs.

Donc, il s'est pris peu de gardons, de perches, de carpes, de chavanes et de dars cet été dans les eaux de notre petite Venise verte coulonnaise et dans les grandes rigoles affluentes. Tant mieux pour l'avenir : le poisson sera plus abondant l'année prochaine et la pêche meilleure assurément si la saison estivale est moins maussade que celle de 1888.

Les regains des marais de Coulon sont ramassés dans d'excellentes conditions pendant quelques jours de chaleur tropicale survenus à la mi-septembre. Mais, par malheur, il y a une assez grande partie de ces marais où les sauterelles comme en Algérie avaient dévoré à peu près toute la bonne herbe ; elles n'y avaient laissé que cette mauvaise plante, appelée vulgairement patte-de-loup.

C'est un préjudice pour beaucoup de nos honnêtes et laborieux cultivateurs du marais. 

Quant aux mojettes (c'est-à-dire les haricots), objets d'un commerce important, elles ont assez bien réussi en dernier lieu. Le soleil les a fort mûries et leur battage a pu s'effectuer dans les meilleures conditions.

Elles ne valent pas plus de 7 francs les 30 kilos actuellement. Elles se vendaient autrefois jusqu'à 12 et 15 francs la mesure et le même poids.