Le pont d'Irleau

Jean-Louis Gibaud


 Journal Le Mémorial des Deux-Sèvres du 26 juin 1931 

 

Un important ouvrage d’art sur la Sèvre.

On parlait depuis bien des années déjà de l’utilité d’ériger un pont carrossable, qui jeté sur la Sèvre en plein Marais, près d’Irleau, relierait les pays s’étendant du nord et au sud de la vallée de la rivière, sans qu’on soit obligé de passer par Coulon ou par Damvix. Ce travail qui représente une dépense de près de 800.000 francs a été enfin réalisé à frais communs par les communes intéressées du Vanneau et de Coulon pour un quart et subventionné pour le reste par l’État et le Département, et le pont va être ouvert à la circulation dans peu de mois, lorsque seront achevés les volets d’accès.

 

C’est l’entreprise Cornet de Niort qui a exécuté le pont en ciment d’après les plans de Monsieur Varenne, ingénieur en chef du service vicinal.

 Le travail a été commencé il y a deux ans (1929) et il a été achevé tout récemment. C’est en effet le 10 courant qu’on eu lieu les essais de résistance en présence de Monsieur Varenne, ingénieur en Chef, de Monsieur Heurtebise, ingénieur principal et des maires du Vanneau et de Coulon.

 

On a fait passer sur le tablier deux camions chargés d’une vingtaine de tonnes, tandis qu’une charge fixe du même poids environ a été placée sur les trottoirs. L’épreuve a été satisfaisante. On pourra donc passer bientôt sur le pont d’Irleau avec des poids lourds sans redouter l’effondrement.

  

 

 Il convient de dire que si la construction a duré deux ans, sur lesquelles les crues d’eau ont interrompu le travail pendant près de cinq mois, c’est qu’elle a dû vaincre de sérieuses difficultés. En effet, quand on a fait des sondages préliminaires pour asseoir les piles, on a constaté que le solide se trouvait à une quinzaine de mètres de profondeur et qu’il faudrait pour l’atteindre traverser des couches de terres d’alluvions et de marne. 

On a donc bâti les piles sur pilotis et il a fallu enfoncer 128 pieux en ciment armé de 14 mètres de longueur. Pour exécuter ce travail, on a utilisé un outillage spécial permettant de laisser tomber sur ces pieux pour le renforcer un mouton pesant deux tonnes. Enfin, lorsqu’on a eu ainsi établi les fondations on a dressé devant deux entrées, six piles et un certain nombre de piédroits, le tout en ciment armé.  

La longueur totale de l’ouvrage est de 101,60 mètres. La Sèvre n’ayant en cet endroit qu’une largeur de 37 mètres, on voit que près de 70 mètres d’ouverture ont été prévues pour l’écoulement des plus fortes crues. Il y faut ajouter des rampes d’accès d’une longueur d’environ 500 mètres dont l’achèvement demandera encore quelques mois, mais dont l’accès sera permis aux véhicules légers un peu plus tôt.

Voilà ce qu’est l’important ouvrage d’art sur lequel nous avons voulu appeler l’attention car il fait honneur à l’ingénieur qui l’a conçu et à l’entreprise niortaise qui l’a réalisé. 

Mis en service en Juin 1931, ce pont succède à une passerelle inaugurée le 1er octobre 1891. 

Déjà en 1891, on parle d’un pont.

Monsieur Delaporte, président du Conseil général l’évoque dans le discours d’inauguration : 

« Ayant l’honneur, à cette époque de représenter au Conseil général la commune de Coulon, il eut fallu sans doute, comme on l’eût également désiré à Irleau, qu’au lieu d’une passerelle à l’usage des piétons et des bestiaux le département fût en état de construire un pont et une route utilisable jusqu’à Coulon pour ses transports agricoles. 

Le Conseil général a dû malheureusement s’incliner devant des exigences budgétaires auxquelles il ne pouvait s’échapper ; Mais, en attendant mieux il a du moins doté cette riche contrée d’une passerelle dans les formes élégantes ne diminuent en rien la solidité »

 

Il y avait une ballade, dite « de la Passerelle » le 19 juillet 1924. Le journal annonce :

Coulon - Ballade

Nous rappelons que c’est dimanche 27 courant qu’aura lieu sur les bords de la Sèvre, l’assemblée ballade annuelle de la passerelle d’Irleau.

   

Déjà fréquentées par les pêcheurs à la ligne, l’auberge de la  « mère Birocheau » faisait ce jour-là le plein.

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Voir article : Le pont d'Irleau - caractéristiques 


Projet de pont sur la Sèvre 

Jean-Louis Gibaud


 Journal Le Mémorial des Deux-Sèvres  17 aout 1907

 

Sur la proposition de M. Roy, maire de Coulon et conseiller d'arrondissement, après délibération et à l'unanimité, le Conseil d'arrondissement a émis le voeu suivant :

Considérant :

- qu'un chemin vicinal et par conséquent carrossable de Coulon à la passerelle d'Irleau est en construction avec subvention de l'état et du département ;

- que la deuxième partie de ce chemin est actuellement en voie d’exécution et que les travaux seront achevés en l'année 1907 ;

- que la troisième et dernière partie sera comprise dans le programme de 1909 ;

- que ce chemin achevé, il importe seulement de donner des moyens de communication facile aux riverains entre Coulon et niort, mais encore de créer das un intérêt général un débouché par un pont carrossable sur la Sèvre au lieu et place de la passerelle d'irleau, de manière à établir les moyens de transport par voiture entre Saint-Hilaire-la-palud, Arçais, le Vanneau, Irleau.

Émet le vœu qu'un projet de pont sur la Sèvre soit étudié de suite afin d'en faire coïncider la construction avec l'achèvement du chemin vicinal n° 10 de Coulon à la passerelle d'Irleau c'est-à-dire en 1910 au plus tard.

 

La passerelle d'Irleau - Inauguration 

Jean-Louis Gibaud


 Journal Le Mémorial des Deux-Sèvres 1891 

 

Connaissez-vous, lecteurs, la région dite des Marais mouillés de la Sèvre qui commence dans notre département, à Magné et à Coulon, pour se continuer dans la Vendée et la Charente-Inférieure jusqu'à Marans ?

Avez-vous jamais parcouru ce réseau de cours d'eau de toutes dimensions aboutissant sur les deux rives à notre petit fleuve – car c'en est un. Ces mille canaux – ou « canards » pour les appeler comme les gens du pays – qui sont les chemins sillonnés sans cesse par une multitude de bateaux de cette contrée souvent pour cela comparée à Venise.

Elle le serait plus exactement à Amsterdam  ?

Si vous n'avez jamais fait cette excursion, faites-là, vous ne vous en repentirez pas.

Dimanche dernier, une fête locale et champêtre avait attiré un grand concours de population au gros village d'Irleau situé sur les bords de la Sèvre à six kilomètres environ en aval de Coulon. On inaugurait une passerelle destinée à faciliter les communications entre ces deux localités. À cette occasion les habitants faisaient une cavalcade.

L'organisation en avait été confiée à M. Bernard négociant et marchand, et à l'instituteur.

Tous, la jeunesse en tête, avaient rivalisé de zèle pour donner aux réjouissances qui ont eu lieu tout l'éclat désirable.

C'était charmant.

À une heure de l'après-midi, une suite de chars et de voitures décorés avec un goût exquis sort de l'école de garçons. Les pompiers font escorte.

C'est d'abord la France sous les traits d'une belle jeune fille, le drapeau tricolore d'une main, une épée nue de l'autre ; elle couvre de sa protection l'Alsace et la Lorraine se serrant autour d'elle et l'entourant de leurs bras. Puis dans un char tout enguirlandée de fleurs et de verdure, l'excellente fanfare du Vanneau fait entendre les meilleurs morceaux de son répertoire. Viennent ensuite le char des fleurs, c'est-à-dire un essaim de fillettes fraiches, riantes, heureuses, le char des sabotiers, industie locale, le char de l'agriculture orné de fruits, légumes, gerbes de blé, instruments aratoires de toutes sortes. Enfin l'indispensable charlatan. Malgré sa barbe par trop mobile et dont les mouvements le gênent quelquefois, il débite un boniment d'un style tintamarresque fort drôle, vend son orviétan avec un entrain et une conviction imperturbables, excite les rires des curieux assemblés en masse autour de sa voiture. N'oublions pas les quêteurs et les quêteuses amazones, bouquetières, vendeuses d'objets commémoratifs de la fête. Accordons une mention spéciale à deux gentilles petites marchandes de décorations en métal galvanisé et de fleurs artificielles qui, par leur gracieuse, leur alléchante façon de faire l'article n'ont certes pas réalisé la recette la moins fructueuse.

Les pauvres, qui n'auront pas été oubliés dans cette circonstance, leur doivent une bonne part de remerciements. Que le brillant mousquetaire à cheval n'en soit point jaloux, il a lui aussi largement payé de sa personne.

Le défilé, après avoir parcouru les rues du bourg, est arrivé sur les bords de l'eau dans le vaste pré d'où part la passerelle. Là, quel délicieux paysage : l'eau, la verdure, la foule amassée, cela forme un ensemble digne de la palette d'un Velluet (peintre niortais).

Mais le canon tonne – oui le canon : une artillerie d'amateurs a établi ses batteries sur le quai, derrière un rideau de peupliers, et une salve vient dans le calme de ces riantes campagnes annoncer la remise de la passerelle à la municipalité.

M. l'agent voyer d'arrondissement, dont c'est l'oeuvre élégante et solide, en indiquant les conditions dans lesquelles l'installation en a été faite la confie pour l'avenir aux soins vigilants des édiles du Vanneau dont quelques-uns sont présents. L’adjoint M. Caillas-Chollet, qui dans cette journée s'est montré fort empressé à être agréable aux hôtes d'Irleau, remercie chaleureusement et avec émotion M. Vallée et tous ceux qui ont contribué à l’exécution de ce travail. 

MM. Jouffrault, sénateur, de La Porte, ancien député de cette circonscription, Valadon, conservateur des Ponts et Chaussées, Desessarets, agent voyer cantonal, Desmier, maire du Mazeau, quelques autres maires des communes voisines, Clerc, ancien conseiller de préfecture des Deux-Sèvres, Cayer, constructeur du pont, plusieurs notabilités des environs arrivés dès le matin à Irleau assistent à cette cérémonie.

 

M. de La Porte expose en quelques mots l'historique de la question :

L'inauguration de la passerelle qui relie les deux rives de la Sèvre est une nouvelle occasion de constater quelle large place tiennent, dans les préoccupations du Conseil général des Deux-Sèvres, toutes les questions qui se rattachent à l'établissement des voies de communication plus faciles, plus rapides, et par là même plus économiques.

Comme président du Conseil général, il a pu suivre depuis 1885 jusqu'en 1989 les diverses phases de la longue instruction administrative à laquelle ont donné lieu les demandes de la commune du Vanneau.

Il est heureux d'avoir pris personnellement l'initiative de la proposition qui, mise à l'étude par décision du Conseil général en avril 1889 a, dès le mois d'aout suivant, abouti au vote par cette assemblée de la subvention de 8 000 francs qui assurait l’exécution de la passerelle.

Ayant l'honneur, à cette époque, de représenter au Conseil général la commune de Coulon, il eût voulu sans doute, comme on l'eût également désiré à Irleau, qu'au lieu d'une passerelle à l'usage des piétons et des bestiaux, le département fût en état de construire un pont et une route utilisable jusqu'à Coulon pour ses transports agricoles. Le Conseil général a dû malheureusement s'incliner devant des exigences budgétaires auxquelles il ne pouvait s'échapper ; mais en attendant mieux, il a du moins doté cette riche contrée d'une passerelle dont les formes élégantes ne diminuent en rien la solidité et que nous voyons aujourd'hui se profiler gracieusement sur la Sèvre, au milieu de la riante verdure des prairies encadrées de peupliers. Aussi M. de La Porte croit-il être l'interprète de la pensée de tous en adressant les remerciements de l'assistance au Conseil général des Deux-Sèvres, au service vicinal si bien représenté ici par l'agent voyer d'arrondissement, au constructeur de la passerelle, et à tous ceux qui ont, à quelque titre que ce soit, pris part à l’exécution des travaux.

 

La fanfare, du haut de la passerelle, joue La Marseillaise. On descend dans la prairie.

À ce moment une ondée céleste survient : c'est l'eau du baptême, disent quelques pieux assistants. 

S'il en faut pour que l'oeuvre ainsi bénie ait longue vie, celle-ci a eu bonne dose :ce n'était qu'un nuage qui crevait ; bientôt le soleil reprend le dessus.

On se dirige vers la salle de banquet servi dans les vastes greniers de M. Gallais. À cinq heures l'on se met à table, l'assistance est nombreuse : on compte environ 150 convives. 

 

Les mets sont excellents et font honneur à M. Gousseau qui n'a pas à regretter d'avoir pris l'initiative de l'organisation de ces agapes. Fraternelles s'il en fut ont été celles-ci : une gaieté communicative et que j'appellerai vraiment démocratique n'a cessé de régner.Au traditionnel coup du milieu, M. Depré a demandé l'autorisation de chanter la chanson de la passerelle, composée par lui, paroles et musique. M. Depré est un modeste, très modeste cultivateur qui n'avait rien mais, par son travail, son intelligence, son économie s'est amassé quelque mille francs avec lesquels il vit à l'aise aujourd'hui en travaillant toujours. Il a commencé par raconter comment voulant lui aussi faire quelque chose pour la fête d'Irleau, ne sachant malheureusement ni lire ni écrire. Moins heureux en cela que les jeunes d'aujourd'hui, il eut l'idée d'aller à Niort  chez un imprimeur lui offrir sa chanson.

«Très bien, lui dit celui-ci. Donnez-la moi. Où est-elle  

– Elle est dans ma tête, répondit-il. Je vais vous la dire.»L'imprimeur l'écrivit sous sa dictée et l'édita. On la distribua pendant tout le temps de la cavalcade et il y en a encore un tas d'exemplaires à la disposition de ceux qui la veulent.

Elle est simple et naïve, mais tellement fine cette chanson. Il fallait l'entendre débiter par son auteur sur un air à sa façon. Elle est accueillie par des applaudissements enthousiastes et bissée.

M. Germaneau de Saint-Hilaire-la-Palud, chanta à son tour. La Carte d'électeur qu'il entonne d'une voix sonore et bien timbrée, par les sentiments patriotiques qui y sont exprimés, l'idée moralisatrice qu'elle contient, souleva dans l'auditoire des frénétiques bravos. Maintenant c'est la fanfare qui joue La Marseillaise. Les bravos redoublent, les cris de « vive la République » les accompagnent. On est au fond bien républicains à Irleau.

M. de La Porte se lève et prononce un discours suivi du discours de M. Jouffreaud.

La première fusée vient de partir. la foule se porte vers le feu d'artifice gracieusement offert par M. Cayer. Les bombes succèdent aux fusées, les soleils aux bombes, les gerbes multicolores aux soleils. Leurs explosions trouvent un écho dans celles de la joie générale. Jamais on ne s'était vu à pareille fête au milieu des canaux du marais. Ce n'était plus le silence des soirs troublé par le chœur des grenouilles. C'est un élan unanime de toute une population de plusieurs villages accourus pour prendre part à des réjouissances républicaines.

Mais déjà l'on a envahi de nouveau la salle de banquet transformée en un coup de baguette magique en salle de spectacle : on va y jouer Les Deux Orphelines.

Si l'on ne se refuse rien à Irleau, on peut dire qu'on a refusé un monde. Un local deux fois plus grand eût été rempli. De jeunes amateurs des deux sexes sont les interprètes excellents d'un drame populaire aux situations pathétiques et empoignantes. Pour citer les meilleurs acteurs, il faudrait les citer tous.

La représentation s'est prolongée fort avant dans la soirée. Il était plus de minuit quand on s'est séparé, emportant le meilleur et le plus salutaire souvenir de cette journée où chacun s'était posé cette question :

 

« Mais dans tout cela , qu'est donc devenu M. Ponthois ? »

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Voir article : Projet chemin de halage entre le bourg de Coulon et la passerelle d'Irleau